Le 21 février s’est ouvert le procès des 26 participants ou proches du Collectif Contre les Expulsions. Dix-huit d’entre eux devaient comparaître devant la 44ème Chambre du Tribunal de Bruxelles.
Par Laurence Vanpaeschen dans Une certaine gaité
Sur les marches du Palais, deux cents manifestants venus apporter leur soutien aux prévenus, silencieux autour de coussins portant les noms de victimes d’expulsions.
L’audience fut essentiellement technique. La semaine précédant le procès, le Procureur du Roi, averti par l’un des avocats que l’audition de témoins serait demandée, avait déjà officieusement annoncé le report du procès. Il prévoyait d’expédier l’affaire en quelques heures et le processus de défense choisi par certains des prévenus troublait l’agenda judiciaire… L’affaire sera donc reportée au 17 octobre. Le dossier en appel de Pascal Marchand, condamné par défaut il y a deux ans à un an de prison pour "coups et blessures" à un policier en civil lors d’une manifestation contre la déportation de 74 Roms, sera finalement joint à celui du CCLE. Pour les prévenus devant comparaître à Liège, aucune date ne semble devoir être fixée avant ce moment. Sans doute évite-t-on aussi d’embarrasser l’agenda électoral des remous d’un procès politique, où des actes de légitime résistance sont criminalisés, travestis en actes de délinquance commis par des individus violents, organisés en bande malfaisante.
Ce procès est celui de l’insoumission, du non à l’exploitation, à la détention, à la déportation, à l’humiliation, aux amalgames nauséabonds, aux insultes, aux matraques… Du refus des logiques sécuritaires qui étouffent les sans papiers et nous enferment tous.
Du refus que le soi-disant bien-être de quelques-uns se construise sur l’anéantissement des autres. De la révolte contre l’assassinat de Semira.
Des personnes, réunies dans le Collectif contre les Expulsions, ont répondu à la nécessité d’intervenir concrètement sur la politique des étrangers menée en Belgique et dans l’espace Schengen. Elles ont choisi la nécessaire désobéissance, des actions directes et non violentes : blocage de fourgons emmenant des personnes à l’expulsion, manifestations devant les centres fermés, solidarité directe avec les détenus, avec ceux dont on niait l’identité pour les réduire à la catégorie des « illégaux », indistinctement menaçante et animée par le seul profit… Aux questions politiques, dans le sens vrai du terme, que le Collectif posait par ses actions il n’a été répondu que par la force : plus de répression, plus de criminalisation, plus de sécuritaire. Faiblesse d’un pouvoir qui faute de vrai fondement, ne peut que s’autolégitimer.
Ces personnes, avec ou sans emploi, avec ou sans papiers, étaient soudées par une pensée et des pratiques de solidarité concrète, de construction collective d’une vie juste et digne pour tous. Ce sont ces pratiques et cette pensée qui sont mises en procès. C’est le Collectif Contre les Expulsions dans son ensemble qui est accusé et avec lui tous ceux qui s’opposent à une logique répressive, à une société du tout contrôlé, à la pauvreté organisée, à l’exclusion voulue, à l’exploitation marchande des personnes, à l’enfermement des corps et de la pensée.
Ce procès pose aussi la question de la banalisation du mal, comme le rappelait récemment la philosophe Isabelle Stengers. Du processus de déshumanisation de ceux qu’on fait disparaître dans les centres fermés, dans la clandestinité organisée, dans l’amalgame étranger = criminel. De la déshumanisation de ceux qui participent à ce processus, fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur, gardiens de centres, voire assistants sociaux ou médecins, qui justifient un temps leur sale boulot par le manque de boulot justement, "on ne choisit pas toujours", ou par la sempiternelle misère du monde qui frappe à nos portes et n’hésiterait pas à les défoncer si on n’y dressait des barbelés. Puis qui finissent par y croire et à se regarder sans honte dans le miroir. Les centres fermés et les expulsions fabriquent des bourreaux, disait-elle, et c’est là la vraie menace.
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