Semira Adamu résiste - mais pas plus que toute personne que l’on maintiendrait courbée de trop longues minutes durant.
Semira résiste de plus en plus faiblement. Tandis que ses gendarmes, Danny Cornelis et Johnny Pipeleers, font les potaches. "Toi aussi tu es filmé." Ils plaisantent grassement : "Faudrait pas non plus que sa culotte glisse à terre." Par six fois - entre 33 minutes 49 secondes et 39 minutes 16 secondes - des collègues leur disent de ne pas exagérer. Bon, ce n’est pas la première fois qu’elle utilise les vieux trucs - jusqu’à se souiller - pour retarder son rapatriement. Mais Semira ne hurle pas, ne se débat pas, ne crache pas, ne frappe pas : elle chante.
Les gendarmes la sentent faiblir : ils le disent. Pas un pour imaginer qu’elle suffoque. Etouffe. D’autres assistent à la scène : pas un pour redresser la jeune fille -20 ans - pour s’assurer que la position de femme cassée qui l’immobilise bouche et nez collés sur les coussins, que cette position n’est pas en train de la tuer.
Pas un n’a conscience de tuer. La preuve ? On filme pour bien prouver qu’on ne fait qu’appliquer la circulaire Tobback.
L’un des premiers à l’avoir visionnée, Benoît Dejemeppe, procureur du Roi à Bruxelles, s’était dit profondément horrifié par cette vidéo filmant la mort en direct. Cet enregistrement, une inspectrice en a rédigé un procès-verbal dans lequel elle raconte exactement et objectivement ce qui se voit, ce qui se dit. C’est ce P.-V. - Numéro 19924 - que nous publions (après traduction néerlandais/français).
Le juge Guido Bellemans a décidé que la vidéo serait visionnée intégralement le 18 mars prochain ! Indispensable, à ses yeux, pour décider ensuite seulement de qui sera - ou non - jugé.
Gilbert Dupont
Dans l’Airbus, la jeune femme sera bientôt morte
BRUXELLES-NATIONAL- Six fois. En quatre minutes, on a clairement demandé six fois aux deux gendarmes - ceux qui étaient assis juste à la gauche et à la droite de Semira Adamu - de bien faire attention, de ne pas exagérer, de lui permettre de respirer. Voici la preuve.
22 septembre 1998. Dans l’Airbus qui doit ramener Semira au Togo, tout est filmé. Après le drame, la vidéo a été saisie. C’est la transcription - sur P.-V - des onze dernières minutes de vie de la jeune Nigériane que nous reproduisons ici. La vidéo permet un minutage précis.
Il est 29.26 - 29 minutes et 26 secondes - quand Semira, poussée dans l’appareil, est assise de force entre les gendarmes Johnny Pipeleers et Danny Cornelis. "Serre bien fort, hein", recommande quelqu’un.
Sur la vidéo, à 29.37, le gendarme Pipeleers a déjà prévu deux coussins sur les genoux. A 29.50, son collègue Cornelis est en possession du sien.
A 30.29, la vidéo montre Semira ; elle chante. A 31.17, on s’encourage : « Allez, ça va marcher, cette fois ». Pliée, la tête ramenée sur les genoux, Semira est menottée dans le dos. Et Pipeleers et Cornelis posent de tout leur poids.
32.02
- Semira chante toujours. Semira dont on croit comprendre, au dialogue qui suit, qu’elle a dû s’oublier. Des fragments de conversation sont, hélas !, parfois incompréhensibles.
32.02.
"Elle commence à puer."
"...?... parce que je ne sens rien..."
Même position. Semira pliée sur son fauteuil, poignets dans le dos.
"Comme ça toi aussi Johnny tu es filmé... "
Pipeleers : "Oui, hein !"
"... et tu peux tout renifler."
33.39.
Cornelis : "Comme ça c’est déjà moins." (Veut-il dire : maintenue de cette façon, Semira se débat déjà beaucoup moins ?)
"Eh, laisse-la respirer. Tu sais ça quand même hein ?"
(33.49)
Cornelis : "C’est vrai qu’on voit la différence. Elle s’est déjà bien fatiguée. Toi aussi sûrement..."
"Là au-dessus il y a un pantalon et une blouse." (De rechange ?)
Pipeleers : "Oui."
"... ne l’étouffe pas !"
"Laisse-la respirer, Johnny. Johnny, non Danny, tu la laisses bien respirer ?"
(34.38 )
- "Oui, oui. Ne la laisse pas trop (comme ça) sinon elle va s’évanouir."
"Non, non ! Elle doit respirer. N’oublie pas !"
"Dis, il ne faut pas non plus qu’on nous remarque trop."
"Wat ? Quoi ?"
"Faut pas que (les autres passagers) nous voient trop."
35.27
- "Eh, elle glisse !"
Pipeleers - "Oui, elle glisse. Faut pas que sa culotte glisse surtout..."
Musique d’ambiance dans l’Airbus.
35.49
Danny Cornelis : "Elle respire très profond."
"Eddy, tu filmes tout sans arrêt, hein ?"
"Oui, oui, je filme le plus possible. Je vais bientôt devoir changer de cassette. Il me reste 9 minutes..."
"Allez, encore six heures un quart et c’est fini, on y est !"
"Oui, oui. Eh, elle faiblit." (Résiste moins.)
37.35
- "Hé, tu la laisses bien respirer encore une fois."
"Oui, laisse-la respirer."
Cornelis : "Elle respire bien."
(37.40)
- "Bon ! O.K.!"
"Elle respire très profond. Très profond. Même trop profond, selon moi."
"Alors on essaie encore une fois tout à l’heure..."
"C’est bon ! On n’attire pas trop l’attention des passagers. Quelques-uns voient mais pas la plupart parce qu’on (fait écran)..."
Johnny Pipeleers et Danny Cornelis continuent de peser sur le dos de Semira. Cette prise porte un nom. C’est le bec de canard.
Douce musique d’ambiance. Réacteurs.
39.16.
Pipeleers s’adresse à Cornelis - incompréhensible. Ce dernier approuve.
"Règle ça, hein !"
"Ce sera amusant."
"ça - le fait pour Semira d’avoir déféqué ? - fait partie du boulot. On a déjà eu le cas. Ce sera bientôt fini."
Pipeleers : "J’espère bien...."
Danny Cornelis : (incompréhensible)
"Eh, Paul, tu veux te retirer. On est en train de filmer."
(40.45)
On s’aperçoit alors que Semira a cessé de respirer. De vivre.
Gilbert Dupont
La Dernière Heure - 6 février 2002
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