Un autre regard sur l’histoire de Semira Adamu

mercredi 30 septembre 1998.
 
L’abbé crache sur les tombes

Pour l’aumônier de l’aéroport, qui ébranle le mythe construit autour de Semira, la violence a été inoculée par le Collectif contre les expulsions.

Il n’y a pas de violence au 127 et au 127 bis. Le personnel que nous avons ici à l’aéroport est remarquable, prend son métier à cœur, et nous ne pouvons pas supporter la désinformationactuelle. C’est le collectif qui introduit la violence. Ce que je n’accepte pas, c’est qu’au nom des droits de l’Homme et de la justice, le Collectif contre les expulsions piétine les droits du personnel et de la gendarmerie. Ce collectif a utilisé Semira, même après sa mort, en a abusé, et je trouve cela dégueulasse.

L’homme qui se trouve en face de nous ne représente ni un syndicat de gendarmes ni le ministère de l’Intérieur : Il s’appelle Herman Boon et est... l’aumônier catholique de l’aéroport de Bruxelles-National (ainsi que des autres aéroports du pays). Un job humain, proche des passagers et demandeurs d’asile, ou encore membres d’équipage en détresse ; toutes ces causes et émotions qui se cristallisent dans un hall d’aéroport international. Cela fait dix ans qu’il oeuvre ici, aux côtés d’autres aumôniers et sœurs missionnaires.

Semira s’amusait beaucoup

Son travail se situe par-delà les cultes, dans la recherche de la « part de Christ » qui se trouve dans chaque homme. Ainsi Se rappelle-t-il cet homme d’affaires finlandais, ruiné, qui voulait mettre un terme à ses jours et trouva, grâce à Herman Boon, la force de rentrer dans son foyer et de commencer une vie nouvelle. Ou ce couplechinois, fuyant un régime de limitation absolue des naissances, qui fut malheureusement renvoyé à Pékin et pour lequel Herman garde au cœur une plaie vive.

Le choc entre l’Occident et les demandeurs d’asile ne se passe pas au mieux, et Herman Boon formule certaines critiques. Ainsi, comment ne pas se révolter lorsqu’une réfugiée sri-lankaise est envoyée à Libramont sans connaître une seule langue occidentale et... sans que le CPAS local soit préalablement prévenu ? La réfugiée devra prendre train et bus jusqu’aux confins du Luxembourg puis trouver en fin de journée une porte désespérément close.

Lui qui parvient parfois à arrondir les angles, à éviter aux expulsés les menottes et l’escorte de gendarmes, sait qu’il faudrait travailler davantage l’encadrement ultime de ces hommes, lorsqu’ils embarquent pour un retour sans espoir. A ce moment, ils se trouvent désespérément seuls. Je me rappelle d’un Nigérian protestant. J’étais arrivé, sans encombre, sans violence, à le ramener jusqu’à son fauteuil dans l’avion et à lancer la conversation avec son voisin de voyage. Je suis sûr qu’il y a un travail à faire, et les officiers ont toujours pris en compte nos remarques.

Respect, amour, humilité. Ces trois mots reviennent dans la bouche d’Herman. Mais il ne peut se taire lorsqu’il entend un réfugié récemment libéré dire qu’on « refusait de donner de la nourriture à ses enfants » alors que c’était lui qui s’accaparait l’ensemble des rations de nourriture et qu’il a fallu que le personnel intervienne pour qu’il laisse à manger à ses enfants. II ne peut pas non plus accepter les déclarations de tel autre demandeur d’asile qui déclare qu’« on lui a refusé tout soin médical » alors que l’équipe médicale, se basant sur son propre diagnostic professionnel, lui a refusé de la pénicilline mais proposé un autre médicament, plus adapté.

Herman Boon n’est pas l’aumônier qui a suivi en principal Semira. Mais il l’a connue assez pour savoir qu’elle s’amusait avec les autres demandeurs d’asile, du fait que la Belgique puisse croire à son histoire de mariage forcé. Je ne peux rien prouver, mais cette histoire ne tenait pas. En outre, on ne la renvoyait pas au Nigeria, on l’envoyait à Lomé ! La tactique de Semira était d’atteindre le délai de 48 jours au terme duquel les autorités belges auraient dû la relâcher. Et, chaque fois qu’elle allait repartir, un contact était pris avec le collectif, lequel l’avait excitée. Cela me dégoûte, ce n’est pas honnête. Ce qui m’étonne particulièrement, c’est que le collectif se conduit comme sil était le seul, le premier à s’occuper des réfugiés...

Herman souligne la qualité du personnel employé aux 127 et 127 bis ainsi qu’à la section réservée aux « inadmissibles », au bout de l’aérogare B. C’est vrai qu’il y a eu trop de monde parfois au 127. Mais les conditions de vie sont désormais bonnes. Lors de la mort de Semira, en tout oecuménisme, une prière fut organisée au 127, chacun essayant de traduire dans sa propre religion cette prière. Le personnel est très proche des gens, je l’estime beaucoup, et la désinformation [à leur sujet] est un scandale. Il n y a pas de violence, c’est le collectif qui introduit la violence.

Cette charge inédite, nous avons voulu la cadrer avec un autre témoignage : celui du conseiller laïque Karel Laurent qui visite lui aussi régulièrement les centres 127 et 127 bis. Il confirme qu’il n’a aucun reproche à faire au personnel des centres, au contraire. II insiste sur le fait que les travailleurs sociaux y font un « boulot exemplaire » sur le plan humanitaire.

Que la situation soit tendue au 127 bis n’a rien d’exceptionnel. Elle l’est toujours un peu. Mais il récuse l’accusation selon laquelle le collectif aurait « directement » provoqué une tension accrue dans le 127 bis. Ils ont donné de l’espoir à ceux qui devaient être expulsés. On peut peut-être trouver que cet espoir était irréaliste... Toujours selon le conseiller laïque, il n’y a pas de maltraitance systématique lors de tentatives de rapatriement de la part de la gendarmerie. Elle existe, j’ai déjà pu le constater. Elle est exceptionnelle.
Alain Lallemand (avec M. Vdm.)

Le soir - 30 septembre 1998


0 signatures à cette pétition

Forum de l'article

Date Nom et site Web Message