Communiqué - 23 septembre 1998

mercredi 23 septembre 1998.
 

Semira Adamu a cessé de vivre ce mardi soir aux environs de 21h00. Elle était en coma profond depuis 11h00 suite à une hémorragie cérébrale déclenchée lorsque les gendarmes tentaient de l’expulser.
En bref, rappelons d’abord le parcours de Semira.

Semira Adamu avait 20 ans. Sa belle-mère (ses parents sont morts) voulait la marier de force à un homme de 65 ans, qui pourtant a déjà trois femmes. Refusant cet avenir, elle s’est enfuie vers le Togo. Elle a du le faire à plusieurs reprises car son prétendant, qui a le bras long, a réussi à la ramener. La peur au ventre (son mari a déjà tué une de ses femmes), elle s’est à nouveau enfuie et a réussi à atteindre la Belgique.
Elle y est arrivée le 25 mars 1998. Elle a directement été transférée et incarcérée au centre fermé 127 bis de Steenokkerzeel.
Sa demande d’asile a été très rapidement déboutée. L’Office des Etrangers considère en effet que la Convention de Genève ne couvre pas son cas. Les maltraitances à l’égard des femmes ne sont pas (en Belgique, contrairement au Canada par exemple) reconnues par l’Office des Etrangers.
Comme seule réponse à une femme qui craint pour son intégrité physique et morale, la Belgique n’a pu lui offrir que l’enfermement, les barbelés, les coups, les intimidations et finalement la mort...

Dès que nous avons eu connaissance de son cas, nous nous sommes mobilisés pour tenter de la sortir de cet enfer. Nous avons fait signer une demande de régularisation qui a été signée par des milliers d’associations et personnes. Nous avons entamé ainsi une campagne de mobilisation en sa faveur. Lise Thiry était devenue sa marraine, d’autres s’étaient portés garant financier. Face à toute cette campagne, l’Office des Etrangers restait muet. Sa seule réaction était de perpétuellement continuer à tenter de l’expulser avec de plus en plus de violence.

Nous avions des contacts journaliers avec elle. Petit à petit, elle nous informait des conditions de détention, des exactions des gardiens, de l’Office des Etrangers, de la Sabena.
Elle était devenue en somme le symbole de la résistance à l’horreur que représente les centres fermés. Cette résistance, l’Office des Etrangers la lui faisait payer au quotidien.
Brimades, surveillance perpétuelle, écoutes téléphoniques, privation de coup de téléphone, de visites, changement d’aile pour l’isoler encore plus des autres réfugiés détenus,...
Elle était véritablement traquée dans ses moindres faits et gestes. Elle expliquait entre autre dans son témoignages du 23 Juillet : "Après l’évasion, j’ai eu tous les employés sur le dos. On me surveille tout le temps, j’ai toujours quelqu’un derrière moi. Pendant une semaine après le 21 juillet, on n’a plus eu le droit de téléphoner. Maintenant, on peut, mais on a réduit les heures. Avant, on pouvait appeler de 9h à 22h, à présent seulement de 15 à 18h et ce sont les heures où les appels coûtent le plus cher... De toute façon, les règles de vie changent tous les jours. Un jour quelque chose est permis, le lendemain, ça ne l’est plus... Ils ne laissent pas les gens de l’extérieur vous rendre visite".
Officiellement, les visites sont autorisées, mais quand quelqu’un fait une demande de visite, ils ne l’accordent pas, ou ils ne donnent pas de réponse, tout simplement. Lise Thiry n’a jamais pu me voir. Elle est venue, elle a remis les livres et les vêtements qu’elle m’avait apportés aux gardes. Je n’ai pas pu la voir."

Elle nous avait téléphoné lundi (ainsi qu’à son avocat Maître Alcock). Elle était en forme, elle avait juste terriblement peur. Elle avait peur pour deux raisons : tout d’abord, la prolongation de son maintien détention ainsi qu’une note, dont son ordre de maintien était assortie, demandant d’intervenir "efficacement et rapidement" pour l’expulser, et ce, avec l’aide des gendarmes.
Lors de la précédente tentative d’expulsion (début septembre), les gendarmes l’avaient prévenue que "la prochaine fois, ils seraient très violents et réussiraient à l’expulser".

Elle nous avait dit :"Les choses ont repris leur cours habituel, excepté le renforcement de la sécurité, et à l’aéroport où des gens seraient capables de tuer".

Mardi matin, on l’a emmenée à l’aéroport pour l’expulser. On en était à la sixième tentative de l’expulser, sixième qui fut fatale.

Nous n’avons que quelques éléments sur le déroulement de l’expulsion. Nous savons qu’elle a été amenée dans l’avion menottées, qu’elle s’est débattue et a crié et que les gendarmes lui ont mis un coussin sur la bouche.

L’expulsion du 21 juillet s’était passé comme suit : "Toujours dans le même témoignage :"Ils ont essayé de m’expulser quatre fois. La première fois, ils ne m’ont pas forcée. Ils m’ont emmenée à l’aéroport. Là ils m’ont demandé si j’acceptais l’expulsion. J’ai dit non et ils m’ont ramenée au centre. La deuxième fois, ça s’est passé de la même manière, mais ils m’ont prévenue que la fois suivante, ils seraient plus durs. La troisième fois, ils m’ont préparée pour aller à l’aéroport et puis en dernière minute, nous ne sommes pas partis. Ils m’ont dit qu’ils avaient oublié de réserver ma place sur le vol. Je suppose qu’ils avaient plutôt peur des manifestions de soutien qui étaient organisées pour moi... La quatrième fois, ça a été terrible. J’ai été réveillée à 6h30 par une employée qui m’a annoncé que je devais retourner dans mon pays et que
j’avais 20 minutes pour emballer mes affaires.
Je n’ai même pas eu le temps de prendre une douche et j’ai oublié quelques affaires dans la précipitation. Finalement j’ai été prête et ils m’ont escortée jusqu’à la porte d’entrée et ils m’ont fait monter dans le fourgon pour l’aéroport. A l’arrivée, ils m’ont attaché les bras à deux endroits et aussi les jambes. Puis ils m’ont enfermée dans une cellule d’isolement, j’y suis restée de 7h à 10h30. Ils sont venus me chercher. On est allé à l’avant de l’avion et on y est resté jusqu’à 11h15, quand ils m’ont fait embarquer. Une fois à l’intérieur, j’ai commencé à crier et à pleurer. Huit hommes se sont rassemblés autour de moi, deux gardes de la sécurité de la Sabena et six policiers. Les deux gardes de la Sabena m’ont forcée : ils
poussaient partout sur mon corps et l’un deux compressait un oreiller sur mon visage. Il a presque réussi à m’étouffer.
En fait, ces deux gardes devaient m’escorter jusqu’à Lomé. Puis les passagers sont intervenus et ils ont dit qu’ils allaient sortir de l’avion si on ne me libérait pas. Un passager a insisté aussi pour qu’on n’oublie pas de me rendre mes bagages... Il y a eu une bagarre dans l’avion et ils ont dit me débarquer".

La violence avait augmenté au fil des expulsions, la dernière lui fût fatale.

Ensuite, elle a fait une hémorragie cérébrale qui a entraîna un arrêt cardiaque. Une demi-heure plus tard, les services d’urgence arrivaient à refaire battre son cœur. Elle restait néanmoins dans un coma profond. A 21h00, elle décédait.

Sa mort appelle bon nombre de questions...

Avant l’embarcation dans l’avion :


- Que s’est-il passé entre le moment où elle a été réveillée au centre 127bis et le moment où elle a été transféré à bord de l’avion : A-t-elle reçu des coups, des menaces... ?

- A-t-elle (comme cela se pratique parfois) été obligé d’ingurgiter des médicaments ? Ceux-ci étaient-ils contre-indiqués dans son cas ?

- Au bureau des pilotes : Lorsque Semira nous a expliqué les menaces qui pesaient sur elle (lundi), nous avons immédiatement envoyé un fax au pilote du vol pour Lomé. Ce fax expliquait les violences qui risquaient de se passer sur son vol et lui demandant de ne pas embarquer Semira. Que s’est-il passé avec ce fax ? A-t-il seulement été transmis au pilote ? A-t-il été intercepté par un supérieur ? Sinon, pourquoi n’a-t-il pas été pris en considération ?

Dans l’avion :


- Que s’est-il réellement passé dans l’avion ?

- Semira était en excellente santé et assez "forte moralement" pour résister à son expulsion. Le parquet a confirmé l’usage d’un cousin mais que s’est-il réellement passer dans l’avion ?

- Un arrêt cardiaque et une hémorragie cérébrale ne surviennent pas naturellement à 20 ans sans y avoir une cause provoquée...

- Quand à la vidéo filmée par les gendarmes, ne soyons pas dupes. Le caméraman a pu filmer ce qu’il voulait. La subjectivité d’une bande vidéo ne nous semble en aucun cas satisfaisante.

- Notons aussi, la contradiction flagrante entre la déclaration du porte-parole du substitut du procureur du Roi qui dit en substance : la procédure normale dans l’avion est de placer un coussin pour étouffer (...) On fait çà tout le temps et le président de la Sabena qui se plait à répéter "(...) je peux vous assurer que notre personnel de sécurité respecte scrupuleusement les règles en matières de droits de l’homme(...) Toute forme de violence doit être condamnée (...) "

- Pourquoi le pilote a-t-il accepté de prendre à son bord une personne menottée alors que les règlements en matières de sécurité dans un avion l’interdisent ?

A l’hôpital :


- Plusieurs faits troublants se sont passés à l’hôpital.

- Pourquoi est-ce que les médecins ont absolument voulu qu’une personne la voie et témoigne qu’elle n’avait pas subi de violences ?

- Un examen visuel du corps ne permet pas formellement de déceler les éléments permettant d’expliquer l’arrêt cardiaque et de l’hémorragie interne.

- Pourquoi est-ce que les médecins dans leur conférence de presse ont-ils tellement insistés sur le coté normal d’un arrêt cardiaque et d’une hémorragie interne chez une personne de 20 ans ?

- Pourquoi n’ont-ils pas fait état des traces de menottes sur ses poignets ?

- Pourquoi une telle volonté de faire croire à un accident alors que les résultats des examens ne sont pas encore connus ?

- Pourquoi une telle appréhension à ce qu’une autopsie ainsi qu’une contre-expertise aient lieu ?

A toutes ces questions, nous voulons des réponses.

Et pour ce, il est nécessaire que l’affaire ne soit pas étouffée au profit d’une version couvrant les exactions des gendarmes à bord de l’avion envers Semira. Nous tenons à ce que cette expulsion qui finit par un coma et par la mort ait autre chose qu’un classement sans suite comme conséquences.
C’est pourquoi nous tenons à récolter des témoignages des passagers, à entamer une contre-expertise et une autopsie indépendante, et ce, pour faire la lumière sur ce qui s’est passé.

Nous sommes ici non pas face à un dérapage, mais, face à une pratique quotidienne honteuse et qui, dans le cas de Semira, se révèle être une conséquence fâcheuse des menaces proférées à son égard depuis le début de son arrivée en Belgique. Ceci appelle donc un procès où il sera permis aux coupables de cet "assassinat" d’être jugés. A tous les niveaux de responsabilité.

Les responsabilités sont pour nous à chercher dans le chef des exécutants (les gendarmes), ceux qui y ont collaborés (la Sabena) et surtout les décideurs (le ministre de l’Intérieur et Office des Etrangers) de cette politique de terreur. La fin tragique de Semira balaie tous les doutes que certains pouvaient encore émettre sur l’inhumanité d’une politique d’expulsion. Nous appelons donc à la démission immédiate du ministre de l’intérieur (Louis Tobback) et du directeur de l’Office des Etrangers (Schewebach).


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