par Jean-Paul Brilmaker
I) HISTORIQUE RÉCENT
1. Loi du 15/12/80 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers
Cette loi a mis fin à une longue période où les droits des étrangers étaient particulièrement épars et précaires en BELGIQUE.
L’article 7, in fine, de la loi prévoyait que :
"Dans les mêmes cas, si le Ministre de la Justice ou son délégué l’estime nécessaire, il peut faire ramener sans délai l’étranger à la frontière.
L’étranger peut être détenu à cette fin pendant le temps strictement nécessaire pour l’exécution de la mesure."
Ce principe était repris à l’article 27 alinéa 3 de la loi.
La loi prévoyait en outre à l’article 54 que :
"Le Ministre de la Justice peut enjoindre à l’étranger entré dans le royaume sans satisfaire aux conditions fixées par l’article 2 et qui a demandé la qualité de réfugié de résider en un lieu déterminé pendant que sa demande est en examen."
2. Loi du 28/06/84 modifiant la loi du 15/12/80
Cette loi (appelée Loi Gol) apporta des restrictions sérieuses aux droits fondamentaux des étrangers non européens et installa notamment la possibilité pour certaines communes de refuser l’inscription de ceux-ci (article 18bis).
3. Loi du 14/07/87 modifiant la loi du 15/12/80
L’objectif premier de cette modification fut de réformer la procédure d’asile en remplaçant la compétence d’avis du Haut Commissariat des Nations Unies, par un organisme belge de droit interne, le commissaire général aux réfugiés et apatrides (C.G.R.A.), accompagné de ses préposés, chargés d’analyser les recours sous l’angle de la convention de Genève.
La loi supprimait en outre le recours contentieux aux Tribunaux afin de le réserver à cette nouvelle administration (complétée d’une commission permanente de recours pour le fonds des demandes)...
4. Loi du 18/07/91 modifiant la loi du 15/12/80
Cette nouvelle loi modifia la procédure d’asile qui venait pourtant d’être votée quatre ans plus tôt.
Elle introduisit en outre un article 74/5 prévoyant une notion nouvelle pour l’étranger, à savoir son "maintien dans un lieu déterminé, situé aux frontières, en attendant l’autorisation d’entrer dans le Royaume ou son refoulement".
Ce "maintien" ne pouvait durer qu’au maximum deux mois.
La justification donnée par le gouvernement était la suivante :
"Cette disposition introduit un nouvel article, l’article 74/5, qui a pour but de donner une base légale à des situations de fait engendrées par la durée des délais nécessaires à la prise d’une décision sur la recevabilité d’une demande d’asile et donc sur l’entrée du demandeur dans le Royaume. A cet effet, il permet de maintenir l’intéressé dans un lieu déterminé aux frontières, par exemple dans la zone aéroportuaire." (Voir Bull. Lég. 1991, page 3099)
Cette argumentation n’expliquait pas pourquoi il fallait nécessairement priver de liberté les demandeurs d’asile, d’une part, ni les étrangers en général lorsqu’ils se trouvent en procédure d’expulsion, d’autre part.
L’expérience montre d’ailleurs que la plupart des premiers sont laissés en liberté et que la préparation de l’expulsion des seconds, et particulièrement l’obtention du laissez-passer du pays d’origine, ne nécessite absolument pas la privation de liberté.
Par ailleurs, il est caractéristique du système belge en matière d’étrangers de relever que le parlement est invité à "donner une base légale à des situations de fait", c’est à dire couvrir, après coup, des pratiques administratives illégales de l’office des étrangers, sans cesse soucieux de réduire ce qui avait été concédé en 1980...
5. Loi du 15/07/96 modifiant la loi du 15/12/80
La loi nouvelle (loi Vande Lanotte) va faire exploser la durée de la détention administrative des étrangers jusqu’à un maximum de huit mois, par tranches de deux mois de prolongation, celle-ci nécessitant une décision ministérielle.
Le parlement, fortement réticent, tentera d’apporter des limites à ce système carcéral exorbitant en introduisant par exemple, comme condition à la prolongation, que "les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’étranger ont été entreprises dans les sept jours ouvrables, qu’elles sont poursuivies avec toute la diligence requise et qu’il subsiste toujours une possibilité d’éloigner effectivement l’étranger dans un délai raisonnable"
Mais dès à présent on sait qu’il suffit à l’administration de conduire l’étranger à l’embarquement dans l’avion, constater son refus de l’expulsion et faire repartir un nouvelle détention initiale de deux mois, et cela avec l’accord de la Cour de Cassation...
La notion de "temps strictement nécessaire à l’exécution de la mesure" d’expulsion mise en place par le parlement en 1980 et non omise ensuite, par une sorte d’hommage du vice à la vertu, est manifestement vidée de sa substance.
Le centre fermé de Vottem (situé en plein centre du pays) réputé par un arrêté royal ultérieur de "lieu situé aux frontières", voit arriver à présent des sans -papiers de toutes sortes ramassés par la police, toxicomanes, travailleurs en noir ou autres, qui séjourneront quelques semaines avant d’être relâchés, faute, pour l’office des étrangers, d’avoir obtenu, voire cherché, le laissez-passer du pays d’origine.
La détention alternative des étrangers est désormais un fait acquis et banalisé en BELGIQUE.
6. La loi du 09/03/98 modifiant la loi du 15/12/80
Ce texte apporte des particularités juridiques dont il n’est pas sûr qu’elles aident à simplifier la compréhension du système, peut-être voulu par les parlementaires mais certainement exigé par la police (l’office) des étrangers, comme par exemple :
"ART 74-5 (...)
§3 La durée du maintien dans un lieu déterminé situé aux frontières ne peut excéder deux mois. Le Ministre ou son délégué peut toutefois prolonger le maintien de l’étranger visé au §1er, par période de deux mois :
1° si l’étranger fait l’objet d’une mesure de refoulement exécutoire, d’une décision de refus d’entrée exécutoire ou d’une décision confirmative de refus d’entrée exécutoire" (sic)
(...)
7. Loi du 29/04/99 modifiant la loi du 15/12/80
Cette loi limite apparemment la durée maximale de la détention à cinq mois mais ajoute immédiatement que l’on peut prolonger d’un mois à trois reprises "dans les cas où la sauvegarde de l’ordre public ou la sécurité nationale l’exige". Il n’est cependant pas établi que la Cour de Cassation ait une conception différente de celle de l’office des étrangers en matière "d’ordre public".
II) CONTRÔLE DE LA DÉTENTION DES ÉTRANGERS
Dès le départ , l’article 72 de la loi du 15/12/80 limitait le contrôle de la Chambre du conseil du Tribunal de première instance du lieu de résidence ou du lieu où l’étranger a été trouvé, à une vérification de la légalité des mesures privative de liberté et d’éloignement du territoire "sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité".
Sachant par ailleurs que le parlement a expressément dépouillé le pouvoir judiciaire du contrôle des décisions en matière de séjour des étrangers par la loi du 14 juillet 1987 modifiant l’article 63 de la loi du 15/12/80, d’une part et que les recours au conseil d’Etat, endémiquement débordé, n’ont pas d’effet suspensif, d’autre part, l’office des étrangers a désormais les coudées franches, sauf, aux plaideurs, de tenter, malgré la loi, d’implorer du Président du Tribunal de 1ere Instance de mettre fin à des voies de fait manifestement excessives...
Cette absence de contrôle contentieux sérieux voulu par le système belge en matière d’étrangers a finalement entraîné la condamnation de l’Etat belge le 5 février 2002 par la Cour européenne des droits de l’Homme pour l’expulsion collective de tsiganes le 05/10/99.
Cet arrêt, déjà célèbre, (Aff. CONKA/BELGIQUE, 51.564/99) condamne notre pays pour les nombreuse violations suivantes de la Convention européenne des droits de l’Homme :
article 5§1 : privation illégale de liberté
article 5§4 : absence de recours effectif sur la légalité de la détention
article 13 : absence de recours effectif contre une atteinte à un droit reconnu par la convention des droits de l’homme, combiné à l’article 4 du protocole n°4 interdisant les expulsions collectives d’étrangers
Par ailleurs, il est manifeste que l’absence de contrôle sérieux du système mis en place en matière d’étrangers nécessite une politique de type "concentrationnaire" visant à priver de liberté, en vue d’expulsion, un certain nombre de personnes dont le dossier administratif est loin d’être clôturé voire simplement ouvert...
Il reste que l’on s’interroge toujours sur le motif pour lequel il faudrait priver de liberté des étrangers pour lesquels l’administration n’a pas encore obtenu de laissez-passer, voire ne l’obtiendra jamais, comme c’est de notoriété publique pour certains États !
Si l’ordre public belge est jugé violé par la mise en clandestinité éventuelle des personnes concernées, rien n’empêche le parquet du Procureur du Roi de poursuivre les délinquants devant les Tribunaux en application des articles 75 et 76 de la loi du 15/12/80 qui prévoient des peines d’emprisonnement et/ou d’amende pour séjour illégal.
Mais il faut bien constater que la police (l’office) des étrangers redoute de recourir à la voie pénale car les Tribunaux répressifs devraient contrôler son travail en application de l’article 159 de la Constitution...
En définitive, il ne paraît pas établi que le "maintien dans un lieu déterminé" prévu par le parlement dès 1980 devait aboutir à une privation de liberté là où une assignation à résidence aurait pu suffire, sauf également à priver "administrativement" de liberté les consommateurs de bière sortant des cafés sous prétexte qu’ils sont des conducteurs intoxiqués en puissance...
III) INEXISTENCE LÉGALE DES CENTRES FERMES
Le parlement a donc voté dès 1980 le principe de la détention des étrangers "dans un lieu déterminé" pendant le temps "strictement nécessaire" pour la remise à la frontière.
Pendant plusieurs années cette détention sera exécutée dans les établissements pénitentiaires de droit commun.
Suite à la courbe exponentielle des détentions administratives dès la fin des années quatre vingt, d’une part et à la dénonciation par le mouvement humanitaire de l’assimilation des étrangers à des délinquants sans que cela ne soit judiciairement établi, d’autre part, le gouvernement décida de passer à un "maintien" dans la zone aéroportuaire, puis construisit des bâtiments neufs loin des aéroports, ce qui était un singulier bond qualitatif.
A aucun moment le parlement n’a été consulté pour la création de ces centres fermés.
Le seul arrêté royal (AR du 04/05/99, MB du 03/06/99) qui devait en fixer les règles de fonctionnement a été annulé par le Conseil d’Etat le 21/06/01 (arrêt 96.807).
L’article budgétaire qui a sans doute permis la dépense en infrastructure matérielle et humaine et en fonctionnement quotidien ne repose pas sur un texte légal donnant naissance à ce type d’établissement de détention.
Or s’il y a privation de liberté, elle ne peut s’exécuter que selon les voies légales, rappelle la Cour européenne des droits de l’Homme.
Dans un arrêt du 14/10/99, la Cour condamnait l’ESPAGNE pour avoir privé de liberté un ressortissant espagnol dans un hôtel, soit en dehors des voies légales espagnoles, ce qui viole donc l’article 5§1er de la convention européenne des droits de l’Homme. (Aff RIBIERA BLUME ET AUTRES / ESPAGNE, n° 37.680/97)
En BELGIQUE, il n’existe aucune loi qui prévoie la privation de liberté dans les centres fermés créés par le gouvernement au cours des dix dernières années.
La notion même de "centres fermés pour étrangers" n’apparaît à aucun endroit dans la loi belge.
Or l’article 5 § 1er de la convention européenne énonce :
"Art 5
§1er Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours."
Par ailleurs, même si le gouvernement tentait à nouveau, à la hâte, de faire avaliser par le parlement ses initiatives intempestives, encore faudrait-il établir que la privation de liberté n’est pas disproportionnée par rapport au but poursuivi , l’exécution des décisions administratives de l’office des étrangers, selon l’exigence constante de la Cour européenne des droits de l’Homme.
En effet, il n’est pas déraisonnable de considérer que le maintien de l’étranger dans un lieu déterminé pendant l’examen du dossier d’expulsion puisse être réalisé par une assignation à résidence, par exemple, laquelle se justifierait d’autant plus que l’intéressé, et sa famille éventuelle, doivent bénéficier du droit à un recours effectif.
Or, il s’avère, précisément, qu’en BELGIQUE les étrangers ne peuvent pas profiter d’un tel recours comme cela vient d’être désormais internationalement établi.
La violation de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme par le système belge en matière de détention d’étrangers est manifeste et ce à plus d’un titre.
JP BRILMAKER, Liège, le 24/03/02.
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