Cinq heures du mat... Dans un café de Saint-Gilles, à Bruxelles. Ils arrivent progressivement par petites grappes. Qui ? Celles et ceux qui ont décidé d’empêcher le départ forcé de Precious. Une jeune nigériane, faisant partie des « évadés du 127 bis » mais vite reprise, et dont l’Office des étrangers a sort : indésirable sur le sol belge. Bref, le Collectif conte lés expulsions (CCE) entame une nouvelle action, refus d’une logique de déportation.
Au total, une bonne trentaine de militants s’activent. Les derniers préparatifs se déroulent dans une certaine routine et un brin d’appréhension bien voilée. Si la plupart n’en sont pas à leur coup d’essai, affronter pacifiquement les forces de l’ordre et contrevenir à la loi, aussi mauvaise soit-elle, demande une dose de courage et de maîtrise de sa peur. L’objectif en ce mardi matin : empêcher le fourgon de l’Office des étrangers d’emmener Precious à l’aéroport de Bruxelles-National...
Dans les premières lueurs de l’aube, les différents petits groupes prennent position autour de la prison pour femmes de Forest. Lieu de détention de la jeune Nigériane. Vers 7 h 30, le fourgon sort de la prison et prend l’avenue Albert. Deux militants surgissent au milieu de l’avenue, obligeant le fourgon à ralentir. Plus vite que l’éclair, ils lancent des projectiles qui atteignent le pare-brise du combi. Arborant une fresque rose et rouge, le fourgon stoppe en face de la prison de St Gilles. Impossible de savoir si la jeune Nigériane est bien à son bord, tant les grillages qui entourent l’habitacle rendent difficile toute visibilité. L’attentat réussi, s’ensuit une fuite de bon aloi... Seuls deux militants seront arrêtés et déférés devant le Parquet dans l’après-midi.
Zone de non-droit
L’action ne s’arrête pas là ! 9 h 30, direction Zaventem pour sensibiliser les passagers au départ forcé de Precious. Ici, bienvenue en zone de non-droit...
D’emblée la situation ne laisse aucune équivoque. Quatre policiers en uniformes et cinq en civil nous jettent des regards " bienveillants »… Les militants du
CCE abordent avec courtoisie les passagers pour leur expliquer qu’ils peuvent intervenir en constatant qu’une personne est forcée de monter dans l’avion. Très vite, les policiers en civil interpellent Serge Thiry, pierre angulaire du CCE : interdiction de parler aux passagers.
Il s’étonne, grognement en retour : " Je ne parle pas à toi, va voir mon chef". Remarquez au passage le tutoiement "sympathique". De bonnes âmes mettront peut-être cet emploi de la 2e personne sur le fait que son auteur, néerlandophone, s’exprime en français... La suite prouvera pourtant l’arbitraire et le non respect dont sont capables les « cow-boys » de Bruxelles-National.
Les talkies-walkies s’agitent. Le cercle se referme. Manu militari, tout le monde est embarqué. Direction les sous-sols sinistres de l’aéroport. Militants, journaliste et photographe. Quatorze exactement, dans une petite salle d’attente, à nous demander vainement quel délit avions-nous bien pu commettre. Jamais les « vaillants défenseurs de l’ordre public » ne seront en mesure de le dire. Même pas une ébauche d’explication. Déduction : la liberté d’expression et d’opinion garanties dans un Etat de droit ne peut s’exercer à Bruxelles-National... Nous serons libérés dans la demi-heure, mais pour Serge Thiry et ses camarades, ce sera plus long : « Nous avons été libérés vers midi. On a été interrogé un par un et ils ont procédé à des photos de fichage, ce qui est illégal ».
Et Precious dans tout cela ? A-t-elle embarqué dans cet avion à destination du Togo ? « Nous avons contacté son avocat mais nous ne savons pas si elle a bel et bien été expulsée », concède Serge Thiry. Un coup de fil de l’Office des étrangers nous apprendra que le département-réfugiés n’est accessible que la matinée... Ce qui aurait été possible, si les gendarmes de Bruxelles-National ne confondaient pas journalistes et militants... Dans l’après-midi, le MRAX et la Ligue des droits de l’Homme se fendront d’un communiqué protestant "" vigoureusement contre cette atteinte d la plus élémentaire liberté d’expression ». Une journée d’août comme les autres... Certains se battent pendant que d’autres…
Par Olivier Mukuna in Le Matin, 19 août 1998
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