"On a l’impression que les employés [du centre fermé pour étrangers] faisaient n’importe quoi, dans un état de frousse et de précipitation totale." Une assistante sociale à propos des incidents de vendredi
Le samedi 26 et dimanche 27 septembre 1998
Bruxelles envoyée spéciale
Ce n’est pas une crise, mais un état indescriptible entre le chaos et l’hébétude qui secouait la Belgique vendredi, après la mort d’une jeune Nigériane mardi lors d’une tentative de rapatriement particulièrement violente. Vendredi, vers 18 heures, une brusque agitation a secoué le centre pour étrangers, fermé, près de l’aéroport de Zaventem, où Sémira Adamu était retenue avant sa reconduite forcée, comme plusieurs dizaines d’autres sans-papiers, en attente d’une décision administrative. D’après les premières informations, une vingtaine d’entre eux, en grève de la faim depuis la mort de Sémira, ont été embarqués et transférés vers un autre des six centres analogues du pays. En revanche, une poignée de clandestins, quinze environ, étaient tout simplement lâchés devant la porte, sans argent ni document d’identité. "Des employés du centre leur ont juste dit qu’ils avaient cinq jours pour quitter le pays, expliquait, ahurie, une assistante sociale sur place. On a l’impression que les employés faisaient n’importe quoi, dans un état de frousse et de précipitation totale."
Quelques heures plus tôt, au gouvernement, le ministre de l’Intérieur, Louis Tobback, qui avait présenté sa démission jeudi, a "suspendu cette décision jusqu’à samedi soir". Après le décès de Sémira, Tobback (SP, socialiste flamand) avait déclaré "assumer ses responsabilités", tout en soutenant que cette reconduite forcée s’était faite en toute légalité. Une manière d’affirmer sa confiance dans les 11 gendarmes, chargés d’escorter Sémira à bord de l’avion qui devait la conduire au Togo. Mais, jeudi soir, l’assurance de Tobback a vacillé. "Il a reçu comme un choc en apprenant que "ses" gendarmes lui avaient caché des choses", raconte un député. Un des hommes escortant Sémira avait déjà été suspendu un mois au début de l’année, pour avoir frappé un réfugié à coups de pied, alors qu’il était ligoté. Censé ne plus s’occuper des rapatriements, il avait pourtant été réaffecté dans ce service.
Vendredi, les pressions se sont multipliés pour que le ministre reste aux commandes. L’affaire tombe en effet à six mois des élections générales.
La Belgique des institutions tremble encore de l’affaire Dutroux, qui a coûté le ministère de l’Intérieur à Johan Vandelanotte, également SP, il n’y a même pas un an. En ce moment se déroule encore un procès-fleuve pour corruption mettant en cause les socialistes flamands et wallons. "Aucun parti au gouvernement (sociaux-chrétiens et socialistes des deux langues, ndlr) ne veut aujourd’hui d’une nouvelle crise, explique Xavier Mabille, politologue. En plus, qu’est-ce que vous voulez qu’ils disent ?" Il y a deux ans à peine, le durcissement de la législation sur les étrangers avait été voté dans une unanimité étonnante : seuls quatre sénateurs de la coalition gouvernementale s’étaient prononcés contre, et les Ecolos furent l’unique parti d’opposition à afficher sa réprobation. Samedi, une cérémonie religieuse doit avoir lieu à Bruxelles, à laquelle le palais royal souhaite participer, sous une forme ou une autre. Avec une sorte de panique dans le regard, un parlementaire dit : "On verra après."
Un rassemblement à la mémoire de Sémira Adamu aura lieu ce samedi à 11 heures à Paris, devant l’ambassade de Belgique.
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