Morte, Semira peut rester en Belgique pour l’éternité

Trois gendarmes mis à la disposition du juge d’instruction après le décès tragique d’une réfugiée nigériane
mercredi 23 septembre 1998.
 

La tentative d’expulsion d’une réfugiée nigériane a donc tourné au drame, mardi matin, à l’aéroport de Bruxelles- National, ainsi qu’on l’aura lu en première page.

Comme chaque mardi, un vol Sabena partait pour Lomé, la capitale du Togo, à 10 heures. Des touristes et hommes d’affaires y avaient pris place. Seule y manquait une passagère. Son nom : Semira Adamu, une jeune Nigériane de 20 ans que l’Office des étrangers tentait d’expulser pour la sixième fois.

L’avion a décollé sans elle. Alors qu’il prenait l’air, la jeune femme a été évacuée, dans le coma, vers les cliniques universitaires Saint-Luc, à Woluwe-Saint-Lambert, où elle est décédée dans la soirée, à 21 h 32.

Après cinq tentatives d’expulsion qui s’étaient soldées par un échec, la gendarmerie s’attendait à une opération mouvementée. Elle avait donc chargé onze hommes de l’encadrement de la jeune femme. Un dispositif exceptionnel selon M. Van Den Bulck, du ministère de l’Intérieur : L’an dernier, ce type d’escorte n’a été utilisé que dans 8 % des rapatriements, soit 295 cas sur 3.863.

RAMENÉE À LA VIE

Le transfert en fourgon entre la cellule du Centre 127 bis et l’aéroport s’était déroulé sans incident. Tout a basculé dans l’avion de la Sabena. Semira a commencé à crier et à se débattre. Selon le ministère de l’Intérieur, la jeune femme était menottée dans l’avion. Il est établi aussi que les deux gendarmes qui devaient accompagner Semira jusqu’à Lomé ont utilisé des petits coussins afin de la calmer. Une technique utilisée lors d’expulsions mouvementées. C’était le cas ici puisque la jeune femme a commencé à hurler dans l’avion lorsque les autres passagers sont entrés.

Maîtrisée par les gendarmes, Semira s’est soudain effondrée. Rapidement dépêché sur place, le service de réanimation des cliniques Saint-Luc a réussi à la ramener à la vie. Elle a ensuite été admise aux urgences. Là, un nouvel arrêt cardiaque l’a fait plonger dans un coma profond. Les médecins des urgences ont diagnostiqué une hémorragie et un œdème cérébraux dus probablement à une compression, a affirmé le D r Reynaert.

Le parquet de Bruxelles a ordonné rapidement l’ouverture d’une instruction. La juge d’instruction Colette Callewaert est descendue sur les lieux, accompagnée de trois substituts du procureur du Roi. Les magistrats ont entendu trois gendarmes, dont les deux qui devaient escorter Semira jusqu’à Lomé. Ils ont été mis à disposition du parquet. L’un d’eux a été relâché en soirée alors que les deux autres ont passé la nuit au poste. Une décision quant à leur inculpation et à la délivrance d’un éventuel mandat d’arrêt devait être prise avant 13 heures, ce mercredi. Le parquet a requis les préventions de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Plusieurs passagers du vol Sabena ont également été entendus avant que l’avion ne décolle.

D’ores et déjà une polémique se fait jour puisque le ministère de l’Intérieur prétend que les gendarmes n’ont eu recours à l’usage du coussin qu’à deux reprises l’an dernier alors que le parquet estime que cette solution "est fréquente".

Le doute sur l’attitude des gendarmes-convoyeurs devrait être assez vite levé. Lors de telles tentatives d’expulsion, la gendarmerie protège ses hommes en filmant l’intégralité du trajet. La cassette a été saisie par la juge Callewaert. Elle devrait, comme l’autopsie et la reconstitution prévues aujourd’hui, révéler si les gendarmes ont fait preuve d’un excès de brutalité.

Semira était arrivée en Belgique voici quelques mois en provenance du Togo. Dès son arrivée, elle avait demandé l’asile pour échapper au mariage arrangé par ses parents avec un polygame de 65 ans.

EMBLÈME D’UN COMBAT

L’Office des étrangers avait rejeté sa requête et ordonné son expulsion. Depuis lors, Semira était soutenue par le Collectif contre les expulsions.

Hier soir, des militants du Collectif contre les expulsions se sont rassemblés devant les portes des cliniques Saint-Luc. Des bougies ont été allumées pour Semira. Des calicots revendiquaient un geste du gouvernement. Plusieurs dizaines de voitures ont pris ensuite la route du Centre 127 bis, où des grillages ont été défoncés. Vers 21 h 30, la caravane a pris la route de Louvain, et s’est rendue devant le domicile du ministre de l’Intérieur Louis Tobback, où sa démission a été exigée. Le cortège s’est disloqué peu après minuit. Semira avait été déclarée morte, à 21h32.

Frédéric Delepierre in Le Soir, 23 septembre 1998


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