Par Georges-Henry Beauthier.
En 1988, la Ligue des Droits de l’Homme s’était constitué partie civile parce que des ordres de le reconduire -coûte que coûte- en Afrique, avaient étouffé un homme sur le tarmac de l’aéroport de Bruxelles-National. Aucune sanction n’avait frappé ceux qui avaient ordonné et pratiqué l’asphyxie lente par la technique dite du "coussin". Mépris extrême, il y a 10 ans déjà.
L’impunité a engendré la récidive : Semira Adamu, autre bannie du mirage occidental, a étouffé pendant vingt minutes, le 22 Septembre 1998, sur les genoux d’un gendarme dressé pour l’expulser.
L’opinion s’ébroua, et, de tous les continents, l’opprobre fut jeté, une fois encore sur la Belgique. Le gouvernement a alors, au sortir d’un nouveau conclave de plusieurs heures, annoncé l’accouchement de nouvelles commissions, et, d’une promesse de régularisations plus qu’indigente, qui - un mois plus tard- n’avaient toujours pas vu le jour. L’occasion eut pu être saisie d’entamer un vrai débat démocratique sur l’immigration, le besoin de main d’œuvre, la circulation des personnes, la répression efficace des marchands de visa, de travail nu noir. En lieu et place, le pouvoir choisit de diaboliser ceux qui s’étaient élevés contre les enfermements injustifiés et les méthodes d’expulsion : les arrestations, les perquisitions, les écoutes téléphoniques, les harcèlements - notamment des membres du collectif contre les expulsions- devinrent la piètre et inquiétante parade d’un régime sécuritaire. Cette non-réponse du pouvoir à l’indignation après l’étouffement de Semira, n’est qu’un exemple qui illustre la glissade d’un Etat social-libéral vers un régime qui n’a que la sécurité comme credo, et, la peur du réel changement comme fantasme. Ainsi, il en va pour les réponses apportées aux transformations en profondeur que demandait la population après les tueries du Brabant, le carnage des pédophiles, dont on fini par oublier qu’ils ont été les informateurs protégés par des services de police gangrenés et inopérants.
II n’est plus caricatural d’avancer que la marche blanche a servi de prétexte pour faire voter des projets liberticides, tel celui sur les organisations criminelles qui permet de rechercher, de ficher et d’inquiéter des militants, même s’ils n’ont que l’intention de contester le pouvoir, sans qu’il soit besoin de prouver qu’ils ont commis un délit. Dans la foulée, ces projets prétextes -en réponse à l’émotion populaire de l’après Dutroux- sont devenus la loi sur les écoutes téléphoniques du 10.6.1998 qui autorise la sélection des conversations privées (certains passages expurgés seront livrés au juge, les autres seront mis au frigo, en attendant...), la loi du 12.3.1998 qui a caviardé le projet dit Franchimont portant sur la réforme du code de procédure pénale. Cette loi a légitimé la pratique "proactive" chère à la gendarmerie. Dans ce même projet, a également été consacrée la "mini-instruction", celle qui donne aux services de police le pouvoir de mener des enquêtes à destination d’un tribunal sans s’encombrer de la garantie d’un juge d’instruction.
Vint surtout la loi créant la "police unique". Cette loi, votée après quelques furtifs débats à la Chambre les 21 et 22 Octobre 1998, est l’exemple même du naufrage démocratique : un service de police unique, placé sous la coupe du Ministre de l’Intérieur et éventuellement de celui de la Justice, un parlement qui abandonné ses prérogatives de contrôle au pouvoir exécutif, et, des juges qui n’auront plus la maîtrise du choix, ni de la disponibilité des enquêteurs pour mener leurs instructions.
Cet appareil policier a enfin été conforté par la loi du 12.6.1998 ratifiant la convention "Europol" qui institue -au niveau européen un organe policier sans contrôle parlementaire, ni judiciaire supranational.
Le législateur s’est laissé dépouiller de son pouvoir. II a failli en laissant imposer des textes par l’exécutif dont l’arrogance peut -à raison- inquiéter le pouvoir judiciaire trop longtemps silencieux et corporatiste.
Ces textes répressifs portent les stigmates d’un régime mortifère, recroquevillé sur la peur, perclus de compromis, dénué de toute audace imaginative.
Mais après le déclin, il va falloir repartir, opérer des choix politiques et tourner le dos au consensus mou. II va également falloir réinventer les institutions démocratiques au niveau d’un continent, d’ensembles régionaux, de métropoles. II sera indispensable de redéfinir les rôles des assemblées élues, des exécutifs, des juges.
C’est cependant cette inéluctable transition que la Ligue et les autres organisations humanitaires devront, sans faille, rester les garants du socle fondamental des droits et devoirs contenus dans la déclaration universelle des Droits de l’Homme. Surtout quand le régime vacillera sous les peaux de bananes d’indifférence et d’égoïsme dont les groupes de citoyens finiront par se débarrasser.
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