L’évasion collective d’une trentaine de réfugiés du centre fermé 127bis au soir de la fête nationale n été le déclencheur d’une mobilisation inattendue. II s’agissait déjà de Semira, qu’on avait tenté d’expulser une fois encore et qu’on avait jeté en cellule d’isolement suite à son refus de s’asseoir dans l’avion. Réunis en quatrième vitesse, quelques dizaines de manifestants s’étaient en effet rendus le soir même devant le 127bis à Steenokkerzeel pour une marche aux flambeaux qui tourna mal selon les termes journalistiques en vigueur, mais plutôt bien en réalité pour les sans papiers qui en profitèrent pour s’échapper !
Le lendemain matin, la Belgique se réveillait avec des flashes info sur un mystérieux ’commando terroriste’ appelé Collectif contre les expulsions, dont plusieurs membres avaient été arrêtés et inculpés. La gendarmerie s’était exprimée. II aura fallu que des voix divergentes s’élèvent, que de nombreuses associations marquent leur soutien à cette action (ou en tout cas leur condamnation sans appel des lois Van de Lanotte qui sont responsables de ce genre de situation), pour que s’inverse la vapeur. Et que le débat sur le droit d’asile semble s’ouvrir enfin. Malgré le mutisme dédaigneux de Louis Tobback et l’absence de réaction de l’Office des Etrangers, des citoyens se faisaient entendre. Et pour la première fois les sans papiers enfermés confirmaient à une opinion publique sourde et muette que leur condition n’était ni enviable, ni digne d’une démocratie.
De ces évadés, on apprit plus tard qu’ils étaient ’perdus’ dans la nature. Hébergés chez des gens ordinaires qui n’étaient ni des terroristes, ni des extrémistes. Mais qui protégeaient pourtant ces fugitifs. Clandestinement.
Parce que la loi les y avait poussés. Deux semaines après l’évasion, une centaine de personnalités déclarèrent collectivement leur appartenance à ce réseau d’hébergement. On trouvait parmi eux universitaires, cinéastes, comédiens, sociologues, chanteurs, peintres, qui s’engageaient publiquement à soutenir et abriter les évadés "tant que l’Etat belge ne pourra leur garantir des conditions de vie respectueuses des droits de l’homme et du citoyen". Depuis lors, la présence de ces personnalités s’est multipliée aux actions à Zaventem, aux manifs à Steenokkerzeel et Vottem, ou encore dans la liste de parrainage du Mouvement National de Régularisation des Sans Papiers... Depuis lors, Semira a été tuée.
Cet été, parmi eux, les frères Dardenne, Michel Khleifi, Dominique Deruderre et Philippe Simon, Jaco Vandormael était l’un des premiers cinéastes à déclarer que lorsque la loi est injuste, le devoir du citoyen est de ne pas la respecter :
" Tout ce qui s’est passé ces derniers mois a modifié ma perception de la Belgique. Je ne m’étais pas rendu compte jusqu’ici, à quel pole on est dans un pays de droite. Je crois que tous ces événements ont favorisé une fissure entre deux Belgique qui coexistent : un vieux pays de droite où les gens ne pensent qu’à ne pas avoir une griffe sur leur BMW, et une autre où les gens vivent différemment, plus librement...
Le premier grand choc, pour moi, a été une émission de RTL peu de temps après la mort de Semira. On demandait aux spectateurs de voter par téléphone pour ou contre le changement des lois Vande Lanotte, et 60% votaient pour ne pas les modifier ! Le mouvement qui s’est produit après la découverte des corps de Julie et Mélissa et toute l’affaire Dutroux est quelque chose de très différent. Le meurtre de Semira est un crime d’Etat. Ici, il n’y avait pas un méchant, un Dutroux. Et rien n’a pourtant été résolu Les modifications apportées par le gouvernement aux lois Vande Lanotte n’ont rien changé au fond. Ce sont les moyens qui diffèrent, mais à côté de ça an continue à produire des armes à la FN. On continue à dépenser des milliards pour armer on ne sait quels pays, et on refuse chez nous les gens qui les fuient.. Avec l’Europe, j’ai l’impression que chaque pays s’aligne sur les autres mais en étant moins ouvert, moins accueillant que les autres. Le droit d’asile est un débat qui doit être porté à l’échelle européenne et mondiale. Mais je crois que les gens s’en foutent de l’Europe, s’en fautent de Schengen ; ils sont juste émus sur le moment. On vit dans un pays riche ! Combien de fois a-t-on entendu cette phrase ridicule : "On ne peut accueillir toute la misère du monde" ?/ Quelles défilades !
Je pense que rien ne va changer. On sombre de plus en plus vers un Etat de droite. Je veux dire que la gauche est à droite et la droite encore plus à droite. En Belgique, le bon sens c’est de laisser le pilotage automatique à l’économie. Les droits de l’homme viennent après ".
Mais l’ampleur de l’engagement de personnalités de la société civile n’a pas encore atteint ce qu’on a pu voir, par exemple, en France. Après l’expulsion à coups de haches des sans papiers de l’église Saint-Bernard, une série de cinéastes avaient lancé un appel à la désobéissance civile, qui fut ensuite largement diffusé et signé à travers le pays. Avec l’aide de producteurs et de distributeurs indépendants, un groupe de cinéastes avait également proposé aux sans papiers de faire entendre leur voix à travers an petit film d’environ trois minutes qui fut diffusé avant chaque long métrage dans plusieurs centaines de salles on France. En Belgique, on est encore loin d’une telle mobilisation. Pour Jaco Vandormael, c’est un problème d’organisation :
" La situation est très différente de la France. Ici, les cinéastes ne sont pas organisés entre eux Il y o pourtant une mobilisation. Plusieurs réalisateurs ont signé l’acte d’héberge ment cet été. Les amis cinéastes qui sont venus aux manifs se sentent concernés Mois ce serait malvenu, je crois, qu’un groupe de citoyens prenne la tête d’un mouvement en rapport et en fonction de ses propres activités Il ne faut pas qu’on pense que l’un ou l’autre cherche à se mettre en avant avec cela. Quand j ’ai été aux manifs, à Zaventem, je me faisais chaque fois Interviewer par des journalistes et puis, dans la voiture, je m ’entendais à la radio. C’est débile, il y a des gens beaucoup plus engagés qui ont des choses plus Importantes à dire que moi D’autre part, je ne sais pas quel pourrait être l’Impact d’un film sur le sujet. Par exemple, il y a je ne sais pas combien de centaines de milliers de gens qui ont vu ’Le huitième jour" et qui étaient sensibilisés à la tolérance, au droit à la différence ; mais quand je vois qu’à côté de sa, 60% des spectateurs de RTL votent pour les lois Vande Lanotte, je crois rêver ! Le racisme et la xénophobie, c’est quelque chose de tellement ancré chez les gens.
Et puis en France, les associations elles-mêmes étaient plus organisées. Quand j’ai fait des actions contre les mines antipersonnel pour Handicap International, c’était très organisé. Ici, il y a une division et cela porte notamment le flanc à. la répression. Ce genre de répression, celle que subit le Collectif pour l’instant, fait très peur. C’est totalement arbitraire. Et là, c’est vrai, le rôle des artistes est d’être présent. "
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