Le procès du CCLE a repris ce mercredi 22 octobre devant la 44ème chambre du tribunal correctionnel de Bruxelles.
Le jeudi 23/10 à 14h les débats se sont poursuivis, avec au programme l’interrogatoire des prévenu(e)s et le témoignage du juge d’instruction Fabien Vandermeersh.
Prochaines audiences : chaque fois à 14h, 44ème chambre, palais de justice de Bruxelles.
Mercredi 29 octobre (audition des témoins)
jeudi 30 octobre (plaidoiries d’éventuelles parties civiles et réquisitoire du ministère public)
Mercredi 5 et jeudi 6 novembre (plaidoiries)
De tout mon cœur… (Ambient)
Mercredi 22 octobre au Palais de Justice
Il manque des chaises pour les inculpés, il manque aussi des inculpés, y’a-t-il des avocats pour tout le monde ? Lecture de la liste des inculpés, lecture de la liste des témoins, lecture de la liste des preuves… Tout résonne dans cette salle, sauf les voix, alors on tend les deux oreilles.
Certains moments sortis tout droit d’un mauvais sketch, des flics qui entrent soudainement et s’alignent de chaque côté de la salle, des avocats qui n’ont pas l’air de savoir ce qu’ils font là, l’absence d’interprète que l’épouse d’un inculpé se propose gentiment de combler, un bébé qui trouble l’acoustique inexistante de la salle et doit sortir, un témoin qu’on fait avancer puis reculer puis reculer puis avancer, on sourit, on rit même…
Comme on sourit à l’écoute de certains passages, les dépositions, les faits eux-mêmes, lus platement et pourtant tellement humains, vibrants de la chaleur de cet engagement sans bornes aux côtés de
gens désespérés de ne pas être libres. La présidente demande que le public se retienne de manifester son approbation ou sa désapprobation, difficile en effet de ne pas gigoter d’impatience en écoutant le compte-rendu de la tentative d’évasion des demandeurs d’asile enfermés au 127bis, de ne pas glousser de plaisir en entendant la liste d’insultes vociférées à l’encontre des gendarmes…
Les dépositions des gardiens du centre se succèdent. Les descriptions sont précises et on sent la tension, la montée d’adrénaline, les choix faits subitement par certains manifestants face à ce qui
se déroule sous leurs yeux, les réactions précipitées des gardiens, les uns comme les autres totalement dédiés à leurs rôles respectifs. On se prend à imaginer une fin différente aux phrases des gardiens, et on ressent douloureusement la constatation que non, ces gens-là ne pensent ni ne vivent les choses comme nous…
« Quand j’ai vu les manifestants arriver avec des flambeaux, j’ai aussitôt été appeler mes amis [pour qu’ils voient comme c’était joli] la gendarmerie, j’ai vu une personne qui lançait un flambeau vers l’intérieur et [j’ai trouvé ça magnifique] j’ai essayé de l’identifier, j’ai vu une femme qui tentait de fuir avec ses deux enfants alors [j’ai croisé les doigts pour qu’ils s’en sortent] j’ai vite été prêter renfort à mes collègues » etc.
C’est si dur d’assimiler le fait que ces gens se rendent compte de ce qu’ils sont en train de dire, du contenu de leurs paroles, si froides, si professionnelles, détachées de ce qui se passait réellement là sous leur nez, l’élément humain, les êtres humains, les hommes, les femmes, les enfants, la vibration du désespoir, les mains tendues, la violence des émotions et de l’immédiateté de cette pensée : qu’est-ce qu’on fait à ces gens, qu’est ce qu’on leur fait subir, tant d’injustice, tant de cauchemars répétés, amplifiés, et finalement la force de leur cri qui les pousse à briser la fenêtre, à se lancer dehors vers l’ailleurs, n’importe où mais plus là, à courir, courir encore quand la cheville se brise, à retomber face aux clôtures avec au cœur la terreur de savoir que non, on va être repris, on va rester là, sans savoir, sans pouvoir, sans vie.
Quitte à imaginer, on voudrait imaginer non seulement une fin différente aux phrases, aux pensées, aux envies, mais aux raisons de tout ça, qu’on voudrait inexistantes, imaginer des débuts différents, ni centres fermés, ni expulsions, et donc ni Collectifs ni clôtures à découper ni flambeaux à transmettre, ni procès pour excès d’humanité, ni inculpés ni dépositions… Nos rêves à nous, pas encore les rêves de tout le monde. En attendant rêvons juste un peu moins fort, imaginons que les juges verront le courage, l’humanité, la générosité, la solidarité, la souffrance, la colère, l’injustice, bon je m’emballe de nouveau je sais, bon je remballe, imaginons donc disais-je, imaginons seulement qu’on acquitte tout le monde au plus vite.
Natasha
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