La chambre du conseil de Bruxelles a décidé mardi matin de renvoyer cinq gendarmes devant le tribunal correctionnel pour leur implication présumée dans la tentative de rapatriement fatal à Semira Adamu.
La mort, le 22 septembre 1998, de Semira Adamu, une jeune Nigériane avait secoué l’opinion publique et le monde politique, au point de provoquer la démission du ministre de l’Intérieur de l’époque, Louis Tobback. L’asile avait été refusé à la jeune femme. A plusieurs reprises, les tentatives pour la rapatrier avaient échoué. Cette fois-là devait absolument aboutir !
Dans l’avion qui devait la rapatrier vers le Togo, la candidate à l’asile a commencé à chanter, puis a refusé de partir. Les gendarmes ont alors pris le fameux coussin et lui ont appliqué sur le visage. Jusqu’à l’étouffement. Cette scène avait été filmée par l’un des gendarmes : les images avaient été projetées lors de la dernière audience de la chambre du conseil.
Mardi, après s’être accordé une semaine de réflexion, la chambre du conseil a rendu son ordonnance. Les trois gendarmes, qui avaient maintenu Semira dans l’avion, sont renvoyés devant le tribunal correctionnel pour avoir, "dans l’exercice de leur fonction, sans motif légitime, avoir utilisé la force contre Semira Adamu, c’est-à-dire, des coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner". En prenant cette décision, le président a suivi les réquisitions du parquet.
Mais la chambre du conseil est allée plus loin et a, partiellement, suivi les parties civiles la famille de Semira et la Ligue francophone des Droits de l’Homme) qui avaient demandé le renvoi de quatre autres ex-gendarmes.
Un capitaine et un adjudant qui se trouvaient également dans l’avion pour superviser l’opération ont aussi été renvoyés en correctionnelle. Le président estime qu’ils doivent être jugés pour coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner, par défaut de prévoyance ou de précaution.
Pour Me Hein Diependaele, avocat de la famille Adamu, ce résultat est merveilleux même s’il est difficile de se réjouir dans une telle affaire. La chambre nous a en partie suivi et c’est une victoire. L’avocat de la Ligue des Droits de l’Homme, Me Luc Walleyn, déplore, pour sa part, que l’ordonnance de renvoi ne retienne pas les charges de racisme qu’il avait relevées contre les gendarmes.
Les deux autres gendarmes que les parties civiles souhaitaient poursuivre ont bénéficié d’un non-lieu. A savoir le cameraman qui a filmé la tentative de rapatriement et le commandant qui dirigeait le détachement de gendarmerie de l’aéroport.
Pour les parties civiles, en tant que supérieur hiérarchique, le commandant devait être renvoyé en correctionnelle car il avait choisi pour ce rapatriement un gendarme qui avait déjà été suspendu quelques mois auparavant pour des faits de violence sur un réfugié lors d’une mission similaire.
Quant au cameraman, Me Diependaele constate que lors de l’application du coussin, il a quand même demandé deux ou trois fois à ses collègues si Semira respirait toujours. Je peux donc comprendre la chambre du conseil. Me Walleyn estime, quant à lui, que le cameraman n’avait pas réagi suffisamment pour empêcher la mort de la jeune Nigériane.
Si personne ne fait appel de cette ordonnance dans un délai de quinze jours, le tribunal correctionnel de Bruxelles pourrait déjà examiner l’affaire avant les vacances judiciaires. Jugé devant une juridiction néerlandophone, ce dossier ne sera en effet pas entravé par l’arriéré judiciaire.
Contactée mardi en fin d’après-midi, la porte-parole de la police fédérale a répondu que jusqu’à présent la police n’a pris aucune position et ne souhaite pas commenter la décision prise à l’encontre des ex-gendarmes. Peut-être demain...
F. Delepierre
Le Soir - 27 mars 2002
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