par Claude Semal
Comme d’autres, sans doute, je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit. Car Semira Adamu, qui est morte hier soir aux Cliniques Universitaires de St-Luc, à Bruxelles, n’était pas seulement une de ces 15.000 immigrés que Mr Tobback rêve de renvoyer annuellement au diable, menottés dans un charter avec un coussin sur la tête.
Comme Serge Thiry l’a rappelé aux portes mêmes de l’hôpital, Semira était aussi, depuis plusieurs mois, le principal relais du "Collectif Contre les Expulsions" à l’intérieur des Centres fermés.
Elle avait vingt ans. Elle avait fui le Nigeria où l’on voulait la marier de force à un vieillard polygame. Elle avait demandé asile et refuge en Belgique.
L’Office des Etrangers le lui a refusé. Cinq fois, on l’a traînée jusqu’à l’aéroport de Zaventem. Cinq fois, elle a su résister. A la veille de son sixième embarquement forcé, elle disait au téléphone craindre le pire : la gendarmerie lui avait promis d’utiliser cette fois "la méthode forte". En effet. Entraînée par onze gendarmes dans l’avion, Semira n été victime d’une hémorragie cérébrale et d’un arrêt cardiaque après avoir été étouffée dans un coussin.
Nous nous en voulons tous un peu de n’avoir pas su mieux la protéger celle qui, par sa détermination, son sens de la solidarité et son courage, avait donné un visage au combat des demandeurs d’asile. La mort de Semira nous rappelle que si nous défendons leurs droits, eux jouent et risquent leur vie. Mais derrière cette sourde culpabilité, nous savons surtout que Semira est morte parce que le gouvernement -et avec lui , la plupart des gouvernements européens- estiment que certains humains ne sont pas suffisamment humains pour "mériter" de vivre avec nous. Que ces demandeurs d’asile, affamés ou persécutés dans leur pays d’origine, n’ont pas le profil requis pour bénéficier de notre proverbiale mansuétude.
Or cette politique d’exclusion mène nécessairement à l’infamie car en déniant à l’autre son humanité, c’est toujours la sienne propre qu’on finit par corrompre.
Traquer les immigrés comme du gibier dans les rues, enfermer les demandeurs d’asile comme des fauves dans un zoo, les transporter de force comme du bétail à l’abattoir, n’est-ce pas se condamner à les traiter comme des objets, des soushommes, animaux nuisibles que l’on rêverait d’éliminer ?
Jusqu’au passage à l’acte.
Avez-vous entendu le porte-parole du Parquet déclarer tranquillement à la radio que "oui" quand ils se débattent dans l’avion, on leur met un coussin sur la figure, c’est la procédure, ce que l’on fait tout le temps ?
Tout le temps, oui.
Avez-vous entendu le Ministère de l’Intérieur "déplorer cet incident" ?
Un incident. Oui.
Comment ne pas voir la terrifiante perte de sens moral dont témoignent déjà ces déclarations ?
Comment ne pas voir qu’il y a, de l’ouverture des centres fermés au meurtre de Semira, une seule et même logique à l’œuvre ? Comment ne pas voir qu’en criminalisant d’emblée des familles persécutées dans leur pays d’origine, en bâtissant des centres fermés pour demandeurs d’asile, en tabassant et en isolant ceux qui résistent à ces zones de non-droit, on est en train de réinventer les persécutions des années trente ?
"National hebdo", journal français proche du Front National, réclamait cet été l’ouverture de camps de concentration pour immigrés clandestins. Le Pen y a rêvé, la Belgique l’a fait.
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