Je connais la voix de Precious, depuis début juillet 1998. Je l’avais eue au téléphone quelques fois alors qu’elle se trouvait au 127 bis. Elle a fui le Nigéria car elle y craignait pour sa vie, résolue à trouver la paix en Belgique. Quelle dérision ! j’ai vu le visage de Precious cette fameuse nuit du 21 juillet. Comme six autres de ses compagnons de réclusion, elle avait tenté de prendre la fuite mais s’était fait reprendre presque tout de suite. J’avais le triste privilège de partager le même fourgon de gendarmerie. Pas très réussi pour une première rencontre. Hier encore, elle me communiquait ses espoirs, son énergie. Aujourd’hui, ses larmes coulaient. Un gendarme tentait de se disculper auprès d’elle. Incapable d’imaginer l’ampleur de sa détresse. Elle sera placée en cellule d’isolement, puis transférée à la prison de Berkendael. Je l’y rencontre pour la seconde fois, derrière la vitre d’un parloir. J’essaie de lui remonter le moral, mais je patauge. Je parviens malgré tout à lui arracher un sourire, la dernière image que j’ai d’elle. Ils avaient réussi à la briser.
Precious Shiome Diya a été expulsée vers le Togo, le 18 août à 10 h 50. Tentant d’empêcher son transfert vers l’aéroport, deux membres du Collectif contre les expulsions seront arrêtés et inculpés. Cette lettre est la dernière que Precious a pu nous faire parvenir. Nous savons depuis peu qu’elle se trouve toujours à Lomé, gravement malade.
Bruxelles, le 14 août 1998
Salut,
C’est moi, Precious. Ces gens sont venus encore et je ne sais de nouveau pas quoi faire. En fait, j’en ai assez. Je pleure pendant que j’écris cette lettre. Ils veulent me rendre la vie misérable et difficile.
Ils savent que je vais être conduite à l’aéroport et expulsée ce jeudi. C’est pour cette raison qu’ils font ça. Depuis hier, je pleure. Ils ont confisqué ma carte de téléphone et les papiers dont j’avais besoin pour donner un coup de fil. Je pleure depuis hier, me demandant : mon dieu ! Pourquoi ?
Je suis fatiguée de tout ceci. Je ne sais plus que faire dans cette prison. Je souffre ici. S’il vous plaît, vous autres, vous devez faire quelque chose et me sortir de cet endroit avant que je ne meure. Je suis sensée être au centre et pas en prison. S’il vous plaît, appelez mon avocate. Dites-lui que ces gens vous traitent très mal.
Je voudrais téléphoner depuis hier, ils refusent. Sachez que je vais être expulsée le 18 de ce mois, ce jeudi. Quel sera mon destin ? S’il vous plaît, vous devez être avec moi. S’il vous plaît ! Car, comme je vois les choses maintenant, ce sera brutal pour moi durant cette journée décisive. S’il vous plaît ! Vous devez être avec moi. J’ai très peur d’être seule à l’aéroport, ce jour-là.
Je ne sais pas quand vous recevrez cette lettre. Ils ne veulent pas que je téléphone. S’il vous plaît. J’ai besoin de votre aide. Je suis perturbée. La Belgique me donne une mauvaise image de moi-même. Je ne peux pas donner de coups de fil. Je ne peux pas sortir. Je suis dans ma cellule, 24 heures sur 24, uniquement à regarder ma vie. Qu’est-ce que j’ai fait ? En fait, j’ai peur, parce que je ne comprends pas ce qui se passe.
Precious Shiome Diya
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