La nuit. Les blocs gris de banlieue. La pluie. Une sonnette avec un nom africain. On m’ouvre. Je monte. James, dont je ne connaissais que la voix au téléphone, m’accueille sur le seuil. L’appartement est petit. Trois gosses, avec des tresses, dorment dans un coin. La méfiance fait très vite place à une hospitalité, rare en Belgique. J’accepte un café, renonce à partager leur repas. Manque de temps, dis-je. Et mon hôte entame aussitôt son récit.
Je m’appelle James et je suis originaire du Ghana. Mes parents avaient toujours des problèmes financiers, alors ils ont décidé d’émigrer au Sierra Leone. Moi, je suis resté au pays. Quand la guerre a éclaté au Sierra Leone, ils n’ont pas pu revenir au Ghana. A ce jour, je suis toujours sans nouvelles d’eux. Mon beau-père vit en Amérique. Mais il n’a pas de travail. Donc, j’étais dans une situation terrible au Ghana.
J’ai deux enfants, mais je n’ai pas pu marier leur mère à cause des problèmes financiers. Je n’avais pas de travail, ni de logement, mes parents avaient disparu, alors j’ai décidé de partir. J’ai téléphoné à mon beau-père qui a pu m’envoyer un peu d’argent pour m’aider un peu. J’ai pris la route pour le Togo. A Lomé, j’ai pris un avion pour Bruxelles. J’étais de nouveau plein d’espoir.
Quand je suis arrivé à l’aéroport de Bruxelles, les gendarmes m’ont arrêté et m’ont directement amené au camp. J’ai demandé ce que je pouvais faire et, alors, quelques jours plus tard, j’ai vu cet avocat au camp. Mais je n’ai jamais pu avoir confiance en lui parce qu’il n’a jamais rien fait pour moi. J’ai fait deux demandes d’asile. Les deux ont été refusées. J’étais très déprimé.
La situation au camp était terrible pour moi. J’étais là et je ne pouvais rien faire. Je ne suis pas un criminel, je ne vends pas de drogue, je ne vole pas, je suis un simple réfugié et pourtant, ils m’ont enfermé. On n’a pas le droit d’enfermer des gens pendant des mois comme ça. Nous sommes des êtres humains. Mais au camp, on est condamné à tourner en rond. C’était une situation terrible et très oppressante pour moi et les autres. Heureusement qu’il y avait les autres.
Je me suis fait des amis, à commencer par les gens de ma chambre, mais aussi d’autres personnes de mon aile. Une femme très forte, et qui nous réconfortait beaucoup, était Semira. J’espère qu’elle a pu s’échapper aussi.
Un matin, les gardes sont venus me chercher. Ils m’ont mis dans un fourgon et amené à l’aéroport. Là, ils m’ont amené sur la piste et m’ont fait monter dans l’avion. J’ai pris très peur et j’étais désespéré en pensant que tout avait été pour rien. J’ai commencé à pleurer et à crier. Alors, voyant que je refusais de partir, les gendarmes m’ont remis dans le fourgon et ramené au camp où, comme d’habitude, les gardes étaient très corrects avec moi. Ils ne m’ont pas frappé. Ils ont fait comme si ne rien n’était.
Le soir du 21 juillet, j’étais dans la chapelle entrain de prier. Un ami est arrivé et m’a dit de venir. Il m’a dit qu’il y avait des gens d’une organisation à l’extérieur du camp et qu’ils voulaient faire quelque chose pour nous. J’étais très surpris. J’ai vu que les gens à l’extérieur avaient de drôles de bâtons dans les mains et puis tout est allé très vite. On m’a dit que dans la chambre à côté, les gens sortaient par la vitre. J’y suis allé et je suis sorti aussi. Je n’avais jamais songé à m’échapper, mais là, j’étais dehors. Alors, j’ai décidé de courir parce que je veux ma liberté, tu vois ? J’ai couru avec des gens de l’organisation, à travers des champs et des forêts jusqu’à Bruxelles. Là, ils m’ont hébergé pendant une nuit avant de m’amener chez des gens de mon origine.
Maintenant, la situation est difficile aussi, je ne peux pas sortir, parfois, je reste des jours entiers sans rien faire. Mais au moins, je suis libre. Et puis, la petite famille qui m’héberge est très gentille. Ce sont des gens très bons. Je peux parler ma langue maternelle avec eux. Ils m’aident beaucoup. Mais je ne sors jamais parce que, si on m’attrape, j’aurai de gros ennuis, alors, je reste à l’intérieur, occupé à réfléchir. Une fois, j’ai téléphoné à mon beau-père en Amérique, mais il a beaucoup de problèmes de son côté et il ne peut plus m’aider. Il n’y a que les gens chez qui je suis qui m’aident et qui sont des gens très bons.
Tu sais, j’ai vu tellement de choses, et il y en a qui sont très bonnes et d’autres qui sont très mauvaises. Nous sommes tous des êtres humains, peu importe la couleur. Mais ici, en Belgique, si vous n’avez pas la bonne nationalité, on vous enferme comme un animal quelconque. On dit tout le temps que les gens doivent vivre ensemble, mais on ne nous laisse pas vivre ensemble. Je suis de l’avis qu’ils doivent donner des papiers à tous les gens qui sont dans ma situation pour qu’on puisse vivre ensemble dignement. Mais ils ne sont pas capables de le faire.
Dans un certains sens, j’ai très peur, ici, en Belgique. Je suis un homme. Je dois me battre. Je ne peux pas rester toute la journée sans rien faire. J’ai deux enfants là-bas et il n’y a personne pour s’occuper d’eux. Je besoin de me battre pour eux. Mon seul espoir, c’est de quitter la Belgique et de trouver du travail, afin de faire venir mes enfants et leur mère ou au moins de leur envoyer de l’argent de temps en temps.
James, Ghana
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