Dans une cuisine très simple, j’ai partagé le riz et les légumes avec Oyinade et ses hôtes. Oyinade, un homme plutôt trapu et sûr de lui, gardait quand même le regard de la proie qui ignore si elle a réussi à semer le chasseur. Une lueur d’enthousiasme et de confiance est apparue quand nous avons constaté, autour d’une cigarette, que nous partagions la même estime pour l’œuvre du grand chanteur et compositeur contestataire nigérian Fela Anipulako Kuti, décédé l’année passée. Voici le récit d’un homme décidé et modeste.
Je m’appelle Oyinade, j’ai trente ans et je viens de Lagos, la capitale du Nigeria. Tu connais la situation au Nigeria. Ce sont les militaires qui dirigent le pays et ils le font de manière désastreuse. Mais, si tu dis quelque chose contre eux, tu es enfermé et torturé. Beaucoup de gens disparaissent.
Avec mon frère, on écoutait beaucoup Fela. On discutait des paroles de ses chansons et on était très d’accord avec ses critiques du régime. Il y a cinq ou six ans, quand Fela a de nouveau été emprisonné par les militaires, mon frère a décidé de quitter le pays. Moi, je suis resté pour m’occuper de notre grand-mère. J’écrivais souvent à mon frère qui avait trouvé asile au Portugal. Dans mes lettres, je lui expliquais qu’au Nigeria les choses ne faisaient qu’empirer. Puis, quand ma grand-mère est morte, il n’y avait plus rien qui me retenait. J’ai pris le premier avion pour l’Europe.
Je suis arrivé en Belgique en février. A Bruxelles, à l’aéroport, on m’a arrêté et dit que mes papiers n’étaient pas en règle et alors, j’ai été conduit au camp de Steenokkerzeel. On m’a laissé téléphoner à un avocat qui m’a dit de faire une demande d’asile. Elle a été refusée. L’avocat est un salaud. Il a téléphoné à mon frère et lui a dit que s’il lui donnait deux mille dollars, il s’engageait à me sortir du camp. Mon frère n’avait pas cet argent.
Au camp, j’ai surtout joué avec des enfants albanais. Mais j’ai aussi rencontré des filles de mon pays, dont Precious et Semira. Nous sommes devenus amis et j’espère qu’elles vont bien. Il y avait aussi deux autres nigérians qui s’occupaient beaucoup de tous ceux qui étaient trop désespérés. Un jour, ils ont été transférés dans un autre camp. Ils font ça pour nous démoraliser.
Alors, un matin, ils sont venus chercher Semira pour la déporter. Mais elle ne s’est pas laissée faire. Ils l’ont donc ramenée et mise seule dans une cellule. On nous disait qu’elle avait été frappée. Ce même soir, il y a des Belges qui sont venus pour aider Semira. Les gardes du camp étaient très nerveux et ils nous ont dit de nous éloigner des fenêtres. Puis, ils ont commencé à nous frapper. Nous nous sommes défendus et nous avons commencé à casser une vitre avec des tables et des chaises. La vitre s’est cassée. Et j’étais le premier à sortir. Un garde m’a barré le chemin et j’ai dû le bousculer. J’ai vu un autre garde avec un talkie-walkie qui voulait appeler la police. Je lui ai arraché le talkie-walkie des mains et je l’ai jeté aussi loin que je pouvais. Puis, j’ai escaladé les grillages et quelqu’un m’a pris dans une voiture et m’a conduit à la ville pour me cacher.
Maintenant, je vais enfin pouvoir essayer de retrouver mon frère. Et essayer de vivre tout simplement.
Oyinade, Nigeria
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