Avant-propos

mardi 22 septembre 1998.
 

Certains nous disent qu’en fréquentant les "hôtes" des centres fermés, nous nous forgeons une image idéalisée de la population de leurs pays. Ces chercheurs d’asile candides pris au piège, avec qui nous communiquons tant bien que mal, représenteraient la crème de ceux qui sont opprimés chez eux.

Certains nous disent qu’en fréquentant les "hôtes" des centres fermés, nous nous forgeons une image idéalisée de la population de leurs pays. Ces chercheurs d’asile candides pris au piège, avec qui nous communiquons tant bien que mal, représenteraient la crème de ceux qui sont opprimés chez eux. Il faut, en effet, une bonne dose d’énergie, d’astuce et de suite dans les idées pour planifier de sortir de son carcan. Les personnalités fortes sont particulièrement allergiques aux dictatures, aux coups de feu (avec des armes qui viennent parfois de chez nous). Lorsque l’atterrissage à Zaventem les transfère dans un autre carcan, elles n’ont que deux choix : la voie de la désillusion, du découragement, ou bien une route le long de laquelle la volonté se trouve survoltée.

Mais nos concitoyens qui veulent s’accrocher à leur notion que les autres civilisations sont inférieures, et qui prétendent que nous ne connaissons de ces inférieurs que la crème, ceux-là sont pris à leur propre piège : si les internés des camps sont doués de qualités un peu exceptionnelles, alors, pourquoi ne pas les accueillir à bras ouverts ?

Oh, je sais ! Si nous réussissons à ouvrir la cage des centres, lâcher " librement " ces hôtes dans la nature, avec la bonne conscience d’avoir commis un acte d’hospitalité, ce serait digne d’un Ponce Pilate. D’autres actions doivent prendre le relais : hors de cage, les libérés sont-ils libres de quoi ? il leur faut redoubler d’une ténacité exceptionnelle pour parvenir à exprimer leurs dons, à nous offrir leur courage au travail, leur astuce à déjouer l’adversité, leur talent de poète, de violoniste, de peintre (tels ceux décrits par Laurence Vanpaeschen dans le livre Eux parmi nous).

Progressivement, je me suis fais une image de la nigériane Semira Adamu, dont je n’ai jamais pu obtenir de photo. La voir ? c’est encore une tentative plus insensée, apparemment. Lorsque l’on arrive au guichet du centre 127 bis pour y déposer un colis, la seule note accueillante est une affiche vous informant des heures et des modalités de visite. Naïve, j’ai appliqué lesdites règles, en modulant mes demandes : par poste, par fax, ou bien au guichet même. Si les requêtes ne sont pas directement jetées au panier, la direction doit posséder une collection de copies de ma carte d’identité. Des refus ? Non, je n’en ai jamais reçu par écrit. Une voix au téléphone me dit que ce n’est pas oui. Ainsi, j’ai d’abord connu la pointure de Semira pour qu’elle puisse disposer de baskets, puis je me sus familiarisée avec diverses de ses mensurations, au fur et à mesure de ses besoins de première nécessité. Mais sa figure ? comment sourit-elle, les jours de courage ? quelles lueurs tristes passent dans ses yeux ? Sa voix au téléphone, je la reconnais entre mille. Nous discutons des livres qu’elle a reçus et flûtés d’un trait. J’entends trois petits enfants albanais qui crient autour d’elle.

Si elle était libre, elle voudrait faire de la musique, elle aimerait chanter. Parce qu’elle a 20 ans et qu’elle ne veut pas épouser un compatriote de 65 ans déjà nanti de deux femmes, parce qu’elle voudrait chanter, peut-être pour s’attirer un vrai amoureux, représente-t-elle pour nous une menace - ou un cadeau ?

Lise Thiry

le 22 septembre 1998


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