Pascale Fonteneau est romancière. Elle a écrit de nombreux "polars".
- Pourquoi as-tu signé un appel où tu t’engages à soutenir et à héberger un sans papier ?
Très honnêtement, je ne me suis pas posé la question. Ce n’est pas quelque chose qui m’a demandé de multiples interrogations, réflexions. Tu acceptes parce que ça te semble évident.
- Mais c’est bien un acte qui s’inscrit par rapport à la situation des sans-papiers ?
Je connaissais la situation des sans-papier. J’ai répondu aux différents appels (des vêtements, des chaussures,...) et si quelqu’un s’était retrouvé cherchant un toit je l’aurais hébergé.
- Ta réaction par rapport à la politique vis à vis des étrangers et des réfugiés ?
Je ne suis même pas sûre qu’il y a une véritable politique. J’ai l’impression que les réactions sont très basiques. On joue sur la peur. Quelqu’un a utilisé une formule que j’aime beaucoup : on est sur le Titanic et au lieu de tenter de réparer la casse, on empêche juste les troisièmes classes de monter. II est temps qu’on se rende compte qu’on est tous sur la même planète ! On voit à la télévision des pubs pour aller au Seychelles se faire bronzer pendant l’hiver, tout en sachant bien que ces gens là-bas même s’ils avaient envie d’avoir un peu de fraîcheur comme on pourrait l’imaginer cyniquement ne peuvent pas venir ici.
On va voir des amis au Brésil, les amis ne peuvent pas venir ici.
On pleure sur la sécheresse nu Sud-Soudan mais les Soudanais ne sont pas acceptés ici. II faut quand même essayer de voir les problèmes dans une certaine globalité. Les Soudanais petits et avec les ventres gonflés à la télévision c’est bien, leurs parents avec une parka devant le Petit-Château, c’est pas bien...
- Depuis 74, l’immigration est totalement arrêtée. Le débat porte donc aussi sur la politique migratoire. Et le débat est un peu coincé entre immigration zéro et frontières ouvertes...
J’ai le sentiment que c’est un débat de pognon. Ici on est un pays riche, ce qui permet de donner des revenus de remplacement (les soins de santé,...). Donc ; les personnes qu’on accueille dans le pays sont intégrés dans ce système. Reste à le financer... Je n’ai pas les compétences pour répondre à ces questions, mais je crois que ceux qui les ont ne parlent que de dangers et aiguisent les peurs... II faudra quand même qu’on arrête de se contenter de dire ; allez ailleurs. Qu’on réalise enfin que le monde est constitué d’êtres humains et pas seulement d’argent qui, lui, voyage si facilement.
Je ne pense pas non plus qu’on quitte son pays de gaieté de cœur. On le quitte parce qu’il y a des problèmes, parce qu’on a peur, faim, parce que c’est la guerre, parce qu’on veut se réfugier ailleurs.... II faudrait agir sur les raisons qui poussent les habitants à fuir un pays et même si ces raisons doivent être réglées à une échelle qui nous dépasse, on n l’obligation de faire pression pour que de telles mesures soient envisagées.
- Ta réaction faces aux mesures prises par le gouvernement...
Ça m’a laissé un goût un peu amer. Ils ont fait semblant (ou peut-être sincèrement mais je ne les ai pas cru d’être désolés. On ne peut pas être désolé et puis essayer de refiler la patate chaude à quelqu’un d’autre. C’est de la faute de Semira parce qu’elle était debout, c’est la faute du collectif qui l’a incitée à se mettre debout,... Peu importe, les faits sont là, elle était là. Elle voulait rester, elle n’a pas pu rester et est morte étouffée sur les genoux d’un gendarme. La réalité est celle-là. Inutile de vouloir noyer le poisson dans de multiples élucubrations linguistiques et autres... La réalité, c’est la réalité d’un système qui me fait peur : celle d’un système où les soupapes de sécurité individuelles, donc de chaque individu, ne fonctionnent plus. Quelqu’un a étouffé cette jeune femme sur ses genoux, l’a contrainte... II n’y a pas eu de sursaut. Cette réalité est effrayante.
Après la mort de Semira, il y a eu un frisson. Ça n’a pas été un système. Un frisson de réaction populaire. Maintenant les gens ne
peuvent pas dire qu’ils ne savent pas mais comme eux, je me sens démunie, je ne sais pas comment rompre la chaîne qui les amène ici pour se sauver et pas juste
parce qu’ils ont envie de venir pour nous rencontrer.
On devrait, partout sur la planète, pouvoir aller voir ailleurs et puis avoir du plaisir à rentrer chez soi ou à rester ailleurs si on en a envie.
J’ai comme beaucoup plus de questions que de réponses et je crois que ce serait intéressant (et déjà la démarche de se poser des questions est intéressante) de ne pas accepter les réponses qu’on nous donne et auxquelles je ne crois pas.
- Dans le frisson, il y a quand même un élément fort c’est le sondage du Soir où 75% de la population est d’accord de régulariser les sans-papier.
Assez curieusement, on entretient l’image d’une population plutôt bourgeoise craintive mais les gens sont beaucoup plus audacieux qu’on ne le laisserait croire. Effectivement les gens sont accueillants, généreux,..
Parfois on entend dire : "J’aime pas les arabes sauf Fatima que je connais bien ; elle, elle est gentille". Mais vous leur parlé de Rachid : "Ah non les arabes j’en ai peur ils sont pas bien sauf Fatima que je connais".
Evidemment dès qu’on connaît les gens, on s’aperçoit que ce sont juste des hommes et des femmes ordinaires. II faut un peu rompre cette glace ou cette frontière , mais évidemment, quand on montre des étrangers derrière des grilles on véhicule l’idée que si on ouvre les grilles ils vont venir tout manger ici, c’est très primaire c’est d’ailleurs pour cela qu’on le fait... et Ça fonctionne car on fait appel à des instincts simplistes. II y eut un temps où les Italiens faisaient peur, puis les Espagnols, puis les Portugais... puis les frontières européennes se sont ouvertes, on a connu leur culture et inversement. Tout c’est très bien passé. Pourquoi çà se passerait différemment ?
Au lieu de niveler par le bas, il faut aider à la connaissance, l’entraide (c’est différent de l’aide). Nous avons des choses à leur apporter et ils ont des choses à nous apporter.
- Des actions d’occupations d’églises par des sans papiers commencent en Belgique. Est-ce que tu crois que c’est possible qu’un mouvement plus large débute ? Un peu comme en France ?
C’est très difficile à dire. La Belgique est un pays curieux qui ne réagit pas toujours où on J’attend. En tant qu’observatrice pas du tout privilégiée, c’est l’impression que ça me donne parfois. J’espère en tout cas que cela va permettre une proximité, c’est ce qui s’est passé en France, les gens se parlent, les gens se rencontrent. En France, les sans-papier ont bénéficié d’un soutien important des intellectuels au sens très large du terme. Le poids des intellectuels est très différent en Belgique où ils n’ont pas la même aura, les mêmes engagements,... C’est en tout cas pas la même pratique.
En Belgique tout est un peu plus politique donc effectivement, si on commence à voir des députés dans les églises peut-être que ça fera bouger les choses et si les artistes sont là aussi, cela amènera une ou deux caméras de plus... L’objectif est là : sortir de l’anonymat.
- La volonté de l’acte d’hébergement était aussi que certains milieux culturels, intellectuels.. se bougent...
On peut difficilement comparer les engagements des intellectuels dans un pays comme la France, par exemple, où historiquement ils ont toujours été très engagés dans la société civile. En Belgique, cet engagement est plus discret car il relève d’actes individuels. Les intellectuels ne forment pas un courant, mais plutôt une multitude de sources. Donc, quand ils s’engagent (et ils le font) ils le font à titre personnel. En France beaucoup de sans-papier étaient parrainés par des personnalités qui pouvaient réellement leur apporter une caution. Les données sont différentes : le gouvernement est différent, l’attitude envers les sans-papier aussi,...
C’est très difficile de prévoir sur quoi cela va déboucher... mais j’ai très sincèrement beaucoup de respect pour tous ceux qui s’engagent et luttent à leurs côtés au quotidien.
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