Des sans papiers et nous

janvier 1999.
 

Les clandestins de nos rues se sont regroupés, se sont transformés en " sans papiers ", affirmant par la négative leur revendication.

Ils revendiquent ces laissez-passer qui seuls, dans notre beau monde bureaucratisé, permettent la disposition du droit à liberté et des plus élémentaires droits sociaux. De toutes nationalités, de situations sociales et familiales diverses, certains vivent en Belgique depuis quelques mois, d’autres depuis des années. La plupart n’ont aucune formation politique, aucune expérience d’une vie et organisation d’une lutte.

Et nous, devant eux, nous faisons office de vieux routards. Certains d’entre nous sont déjà passés par différentes pratiques organisationnelles, avons fait l’épreuve des différents modes décisionnels traditionnelles ou assembléaires. Il nous faut donc ravaler tout cela, ne pas s’ériger en bon professeur tout en voulant garder, et en conservant nos particularités politiques.
Se pose alors les relations difficiles d’un mouvement et des soutiens qui gravitent autour de lui.

Nos désirs, nos desseins sont assez clairs mais pas toujours faciles à réaliser...

Nous voudrions travailler avec les sans papiers et non pas pour eux. Lutter avec eux commence par la détermination de les considérer comme des compagnons de résistance, évacuant tout penchant paternaliste de ceux qui " savent ", encore plus tentant lorsqu’il s’agit de compagnons étrangers. Ah, ce vieux sentiment de supériorité européaniste qui se transforme chez les bien-pensants en ce vieux sentiment de culpabilité du colonisateur envers le colonisé.... Toutefois, il faut que l’on garde à l’esprit que nous sommes pourvu de ce qu’ils revendique. Et la possession de papiers empêche, même si on peut l’imaginer, de percevoir pleinement la vie de ce qu’est un " sans papiers " et empêche donc de pouvoir trouver, à leur place, les revendications appropriées.

Lorsqu’on devient compagnons de résistance, on tente également de se connaître, de vivre un tant sois peu leur vie d’occupation. On tente de les rencontrer tous et pas seulement leurs délégués. Ceux qui travaillent " pour eux " ne connaîtront jamais que les visages de ces derniers

La majorité des gens que compte le Collectif contre les Expulsions s’est regroupé autour de revendication, comme, l’arrêt des expulsions, la fermeture des camps et la régularisation de tous les sans papiers mais aussi autour d’un projet d’un autre type d’organisation.
II a choisi le mode assembléaire pour prendre toute décision, une assemblée sans président ni une personne possédant le pouvoir. II s’est construit autour de valeurs centrales, tel le refus de l’assistanat en prônant, a contrario, la notion de solidarité. Nous avons des valeurs auxquelles nous croyons. Et nous devons être vigilants afin de ne pas absolument les imposer. Un mouvement de sans papiers doit être autonome. Nous marquons notre solidarité, nous lutterons ensemble, mais à mon sens, nous nous devons de ne pas donner notre appui inconditionnel à tous les groupes de sans papiers existants sous le simple prétexte qu’ils luttent pour des papiers. Nous avons notre revendication de " papiers pour tous " et nous la porterons sans l’amincir, l’édulcorer. Nous sommes un groupe, ils sont un groupe. Si nous nous rejoignons, nous lutterons ensemble. Et de même pour eux.

Évidemment, cette position de solidarité et de respect de leurs particularités de lutte ; le fait de les considérer comme des adultes responsables n’est pas le cas de toutes les organisation de " avec papiers " qui circulent autour d’eux . Au lieu de lutter avec eux, ces organisation luttent pour eux, à leur place.

Nous sommes en colère, lorsque de vieilles organisations belges viennent dicter le mode de fonctionnement de ce mouvement, lorsqu’elle veut imposer qui et le nombre de gens habilités à occuper, lorsqu’elle tient le compte bancaire de l’Église du Béguinage, lorsqu’elle va négocier à leur place, sur base de revendications ( régularisation avec critère) qui ne prennent pas en compte la réalité de vie des acteurs de cette lutte. Nous sommes en colère face à des organisations qui se permettent d’établir une frontière entre des bons sans papiers, pour qui il est utile de se battre et des mauvais sans papiers, ceux pour qui, il n’y a pas d’espoir. Et cela au nom d’une stratégie toute politicienne.

Ces organisations couvent les sans papiers, craignent tout ce qui est dissident, les voient comme des sortes de concurrents. Mais une lutte quelconque, qu’elle soit de sans papiers, de chômeurs, d’enseignants ou de métallurgistes n’est pas un objet, une chose qui se prête à la compétition. Le Collectif refuse de réfléchir à la place des sans papiers.
Nous avons opté pour la solidarité entre les sans papiers et ceux qui en possèdent, et non une aide qui revêt parfois des côtés irresponsables.

En choisissant la démarche responsable de la négociation ; on tombe dans l’irresponsabilité sous prétexte de tester le fruit de ses tractations. Même si on avoue que ces résultats sont maigres, qu’on crie à l’ignominie du gouvernement, on pousse les sans papiers à faire une demande sur base d’une circulaire floue et très étroite quant aux critères de régularisation. Ils seront alors des centaines à donner leurs noms et adresse, et, à se voir refuser des papiers mais à se voir connus et situés par la police.
Et nous serions alors sans concurrence, car nous somme encore bien seuls à prendre contact avec ceux qui sont enfermés dans les centres fermés et à parler aux passagers des avions.

Nous ne sommes pas des marchands d’espoir, une lutte pour " des papiers pour tous " est aléatoire ; difficile. Mais elle est le seul chemin qui mène à la régularisation du plus grand nombre. En attendant, les fruits du quotidien sont juteux et sucrés.
Les barrières des peurs s’écroulent ; ils prennent un à un les droits de tous, manifestations, occupations et revendications. Nous, collectif et sans papiers, faisons l’expérience d’une vie entre personnes d’horizons différents, l’expérience de différents modes d’organisation, la prise de conscience que tout mouvement en faveur des sans papiers n’est pas forcément un mouvement fertile.
Grâce à eux nous avons en conscience le contrôle social écrasant de notre jolie société... Et si vous comptabilisiez le nombre de fois que vous sortez un quelconque papier d’identité pour obtenir ce que vous considérez comme des droits ou des avantages...

Ne fût ce que le droit à marcher dans la rue...

Cataline


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