Quand je suis arrivé à l’aéroport, j’avais un passeport nigérian parce n’y avait pas de visa dans mon propre passeport.
Je suis allé à cause de deux ou trois problèmes que j’avais eus au Libéria. Il y a une vraie guerre là-bas. Au Nigeria, je suis allé à l’ambassade pour demander s’ils pouvaient faire quelque chose pour moi car au Libéria j’avais été menacé et on a essayé de me tuer à deux reprises. Mais l’ambassade a refusé d’aider. Même au Nigeria, je ne me sentais pas en sécurité alors j’ai rencontré un ami qui m’a donné un ticket et j’ai quitté le pays pour la Belgique.
Quand je suis arrivé, ils ont pris mon passeport et ils ont dit qu’il n’était pas valable. J’ai dit que c’était vrai et que je demandais juste l’asile. Alors on m’a emmené de l’aéroport au centre de transit qui est comme une cage. J’ai été appelé pour rencontrer un des employés dans un bureau là-bas, et je lui ai raconté mon histoire. Et après on m’a remis au centre de transit. Deux semaines après, ils ont pris ma deuxième interview et c’était de nouveau négatif. Mon avocate m’a donné une copie de tous mes documents. Elle me dit qu’il n’y avait plus moyen dorénavant pour moi d’être accepté en Belgique. Puis on m’emmena à Steenokkerzeel
C’est le deuxième camp dans lequel j’ai séjourné. Quand j’étais à Steenokkerzeel, on m’a rendu mes documents originaux. Il y avait des amis africains et ils m’ont dit beaucoup de choses. J’ai pris un avocat. La première avocate m’a pris beaucoup d’argent mais elle n’a rien fait pour moi. Elle a pris 15.000 francs belges. C’est un ami qui a payé parce que moi, je n’avais pas d’argent. Avec mes documents, j’ai vu une autre avocate qui m’a dit qu’il y avait de nouveaux éléments. Elle a pris de l’argent aussi, je ne sais pas combien, mais j’estime environ 15.000 également. Avec la deuxième avocate, je suis allé au tribunal plusieurs fois, je dirai quatre ou cinq fois. Ça a pris un bout de temps. La dernière fois que j’ai dû aller au tribunal, ils m’ont mis en cellule d’isolement. Et le lendemain, je suis allé au tribunal. Le résultat ne m’était toujours pas favorable, je n’étais arrivé à rien. Donc, je suis retourné au Camp (Merksplas).
Quand j’ai quitté Steenokkerzeel, j’ai été transporté à Merksplas. Je ne me rappelle plus de la date. De toute façon, quand j’étais à Steenokkerzeel on m’a refusé l’asile parce que je n’avais pas tous les documents exigés ; transféré à Merksplas, ça revenait exactement au même.
Avant de parler de Merksplas j’aimerais mentionner quelques aspects concernant Steenokkerzeel. La vie là-bas est une drôle de situation, je ne sais pas... Ils essayent de t’aider, tu ne t’accroches qu’à toi-même. Tu es poussé à te sentir horriblement mal... Tu sors une ou deux fois par jour, pas plus qu’une heure. J’ai plutôt mal vécu tout ce régime parce que je ne savais pas pourquoi j’étais là. Oui, c’est le point essentiel : je ne savais pas pourquoi j’étais là. Car je n’ai rien fait d’illégal et pourtant j’étais un prisonnier. Je ne savais pas si j’allais tenir longtemps à Steenokkerzeel. J’étais fatigué à cause de la vie moche qu’on a là-bas. Ils te donnent de la nourriture mais ils ne font rien d’autre pour préserver ta vie. Tu penses continuellement à t’échapper. Pendant que j’étais là-bas, j’ai été témoin de trois ou quatre tentatives d’évasion. La troisième fois, ils ont réussi à prendre la fuite. Ils ont cassé la fenêtre, et puis ils ont coupé les grillages et ils sont partis. Après l’évasion, les gardiens ont appelé tout le monde dans la salle de télévision. Peu après, on pouvait ressortir mais ils ont annoncé que pour ceux qui restaient, le règlement deviendrait plus dur. Ils te briment, ils te provoquent. Chaque fois que tu dois aller à L’aéroport, ils te réveillent très tôt Le matin. Ils te disent de te dépêcher, et puis ils t’emmènent à l’aéroport. Quand tu es à l’aéroport, tu attends et tu es laissé en cellule d’isolement. Tu attends jusqu’à l’heure de ton vol.
Quand j’étais à Steenokkerzeel, j’ai été amené à l’aéroport deux fois. La première fois, j’ai refusé parce que je sentais dans mon cœur qu’il n’y avait pas de raison d’être là, dans cet avion. Ils m’ont forcé, ils m’ont poussé, ensemble avec un autre gars, un gars du Sierra Leone. Ils nous ont poussés, ils nous ont frappés, jeté nos bagages dans les escaliers. "Allez, tu dois y aller, tu dois partir maintenant. Tu dois partir !" Il n’y avait pas moyen de parler. Jusqu’à ce que le gars qui était avec moi ai commencé à hurler. Un type de la sécurité de l’aéroport est venu et nous disait que ça ne servait à rien de crier et qu’on devait partir. Un autre type de l’aéroport est venu et dit qu’ils n’avaient pas eu le temps de faire notre enregistrement sur le vol. Donc on a été réexpédié, mais avant, le type de l’aéroport nous a dit que la prochaine fois qu’on viendrait là, on serait obligé de quitter la Belgique. Et ils nous ont emmenés à Steenokkerzeel. Oh, je me souviens...
Le premier juin, ils ont libéré quelques personnes : "Pourquoi vous libérez ces gens tandis que moi je dois rester ici ?" Vers cette époque, quelques détenus complotaient quelque chose, ce qui amena à l’évasion que j’ai déjà mentionnée. A Steenokkerzeel, on a deux ailes différentes. On a l’aile droite et l’aile gauche. J’étais dans la deuxième aile, donc je ne pouvais pas communiquer avec les gens de l’autre aile. On peut uniquement ouvrir une petite partie de la fenêtre. Il n’y avait donc pas de communication.
Cet autre soir, c’était quand votre organisation est venue, on était assis à regarder la télévision, quand on a entendu du bruit dans l’autre aile. On se demandait ce qui se passait. Quelqu’un dit : "Il y a des gens à l’extérieur qui essayent de nous aider à sortir". "Venez, on y va". Et on est sorti en courant de la salle. Sortis, on ne pouvait aller nulle part parce qu’on ne pouvait pas s’imaginer que l’organisation des Droits de l’Homme et les gens qui s’évadaient se trouvaient de l’autre côté du camp. Alors, on a commencé à casser une vitre. Mais à travers la vitre cassée, j’ai vu qu’il y avait partout des flics et des pompiers. Alors je me dis qu’il était trop tard. Il n’y avait aucun moyen d’atteindre les grillages et de les couper sans être attrapé. Donc je m’arrêtai et je dis aux gens qui ont passé la fenêtre de revenir. Quelques-uns d’entre eux se faisaient tabasser par les flics et par les employés. Ils frappaient la tête et ils frappaient avec des bâtons et avec leurs bottes. Il y avait une fille qui se faisait frapper particulièrement violemment. Je priais pour elle, parce que je craignais qu’elle ne meure. Tout à coup, j’ai vu un ami près d’un trou dans le grillage. Et puis il est tombé, parce qu’on lui avait cassé la jambe. Après ça, les flics sont entrés dans le centre. Il y avait un autre blessé. Il n’avait pas vu le trou dans les grillages donc il a escaladé et il est tombé, se cassant la jambe également. Ils les ont emmenés à l’hôpital avec leurs os broyés. Nous sommes restés au centre. Puis on nous a tous amenés dans la salle de télévision. Ils ont utilisé un langage très rude à notre égard : connards de nègres et
tout ce blabla. Puis ils ont pris tout le monde un par un pour compter combien de personnes s’étaient échappées. Ils ont pris Bonsu Akua, Mohammed, Cynthia et d’autres et les ont emmenés en isolement en les frappant.
A ce moment, Semira était en isolement. Quelques temps après toute l’affaire, elle sortait de la cellule d’isolement. Je lui ai raconté ce qui s’était passé. On lui racontait toute l’histoire et elle était très étonnée.
Avant l’évasion, nous avions tous nos chambres en bas. Mais maintenant, ils décidèrent de nous mettre au premier étage. Mais nous espérions tous de prendre la fuite à une autre occasion car les mauvais traitements n’ont jamais cessés.
Après une semaine, c’était de nouveau la routine. Et puis un jour, ils sont arrivés et ils ont emmené 15 personnes de force. A Merksplas. Et personne ne savait où ils avaient été emmenés jusqu’à ce qu’on aille à Merksplas également. Et après environ un mois, tous les africains on été transférés à Merksplas. Tous, à l’exception de Semira. Nous avions laissé Semira seule à Steenokkerzeel.
A Merksplas, c’était très pénible parce que je n’arrivais pas à m’adapter à la situation ; c’est comme une prison. Les murs sont tellement hauts. Et il y a juste une petite cour. Quand je suis arrivé, j’ai reçu un papier à signer. J’ai refusé de signer en disant que je ne voyais pas pourquoi j’étais là.
Donc, après, tout continua. Mais c’était plus dur maintenant parce que la plupart de mes amis étaient dans l’aile D tandis que moi j’étais dans l’aile A.
Ils t’emmènent en bas, à la Salle de télévision. Et après plus ou moins dix minutes, ils t’envoient prendre le petit déjeuner. Puis tu retournes dans la chambre. A 10 heures, tu as le droit de te promener une heure. Tu rentres à l’intérieur et puis tu ressors à 3 heure. Tu reviens après une heure. Et puis tu restes jusqu’à l’heure du souper. C’est comme ça que ça se passe. Chaque jour.
Quand tu es là-bas, tu restes assis, avec toi-même. Si tu demandes quelque chose à un employé, ils sont très mal polis. Si toi tu oublies ta politesse également, ils t’emmènent en isolement. Des lits en béton. Tu vas en isolement pour rien. Si tu tousses au mauvais moment, ils t’emmènent en cellule d’isolement.
J’ai aussi entendu parler d’injections, mais je n’en ai jamais eu moi-même. Quand j’étais là-bas, chaque fois que j’allais au tribunal, ils me mettaient en isolement. Comme ça ! C’est ainsi que je vivais là-bas.
Et puis nous avons su pour Semira. C’était un choc pour nous tous car personne ne s’imaginait que ça pouvait se passer. Nous aurions dû savoir que quelque chose allait se passer, car après l’évasion, ils ont sorti tout le monde de Steenokkerzeel pour les transférer à Merksplas. Comme s’ils préparaient quelque chose. C’était bizarre pour nous. Personne ne comprenait pourquoi Semira devait rester seule. On discutait, se demandant : "pourquoi on la laisse là-bas ?" On ne comprenait pas, d’autant plus que le bruit courait que la plupart des autres filles avaient été emmenées à un troisième centre...
Alors un matin, nous jouions aux cartes, on nous dit qu’elle était morte. Je crois que c’est Sentigue, il a appelé de l’extérieur, c’est ainsi qu’on a eu la nouvelle. Moi-même, je n’ai jamais crû qu’il s’agissait de Semira parce que je ne croyais pas qu’elle pourrait mourir comme ça, sans aucune raison. C’était une situation confuse. Je me disais, peut-être que quelqu’un d’autre est mort, mais pas Semira. On ne pouvait plus du tout écouter les infos. Uniquement MTV. Alors finalement on se disait : si les infos sont interdites, il pourrait quand même s’agir de Semira.
C’était une période très triste. Très, très triste. Personne ne voulait plus rien faire. Tu sais, avant que Semira ne meure, ils ont emmené quelqu’un à l’aéroport tous les jours. Tous les jours. Que l’on veuille ou non. Et jamais personne n’est revenu. Quand Semira est morte, ils ont arrêté. Ils ont arrêté pour un temps.
Deux semaines après la mort de Semira, la directrice venait et lâchait les nouvelles. Elle disait juste : un incident à l’aéroport, blabla... Mais elle ne nous donnait pas de détails. C’était très douloureux pour moi. Nous connaissions Semira, nous connaissions son attitude. Nous avions difficile à croire. Elle était comme une mère pour nous. Elle nous donnait toujours du courage. J’ai eu la chance de parler personnellement avec Semira. J’ai essayé de l’encourager aussi. Je la considérais comme une amie proche. Elle était souvent dans ma chambre avec les autres amis, jouant et rigolant ensemble. Donc, quand j’ai entendu qu’elle était morte, je l’ai à peine supporté. J’étais très marqué et désespéré, totalement désespéré.
Puisqu’ils avaient coupé les infos, nous n’avons jamais eu de détails sur sa mort. Tout Le monde était désespéré, et c’est cela qui a amené à la grève de la faim. Pendant cette période, quelqu’un téléphona de l’extérieur et raconta qu’elle avait été étouffée. On a fait la grève de la faim pendant trois jours, mais on était prêt à aller plus loin.
Quoiqu’il en soit, La situation à Merksplas était très frustrante, rien à faire, rien qui interrompt l’ennui. C’est comme deux personnes, assises face à face, sans parler, uniquement occupés à regarder l’autre, tous ses mouvements, toutes ses expressions, sans aucune possibilité de faire quelque chose d’autre. C’était très gênant et frustrant.
Après que la directrice nous ait donnés quelques détails sur la mort de Semira, nous avons décidé d’arrêter la grève de la faim en nous disant qu’il faudrait parler avec la directrice pour qu’elle change notre situation.
Car nous ne pouvons plus supporter que chaque fois que tu es à l’aéroport, tu es harcelé, frappé, maltraité sans raison. Parce que ce n’est pas comme si nous avions fait quelque chose d’affreux. Nous demandons l’asile ! Ils n’ont pas le droit de nous faire souffrir ainsi. Plusieurs fois, on a essayé de parler aux directeurs. Mais ils ne nous ont jamais écoutés. Ils disaient : "Non, tout continuera de la même manière".
Nous restions là. Et puis ils m’ont dit que ma procédure était terminée et que devais repartir à zéro. Je n’ai pas compris les détails, mais je sentais que je devenais fou.
J’étais assis là, un matin, en train de regarder la télévision, quand j’ai entendu
le nom de mon ami. Il s’est levé et y alla. Je ne savais pas ce qui allait lui arriver. L’aéroport ? Le médecin ? On n’arrive jamais à savoir.
A 11h30, juste après la promenade, ils m’ont appelé aussi. C’était le jour de mon vol (vers Conakry). Je n’ai pas pu prendre mes affaires. Ils m’ont mis en isolement où ils m’ont amené mes bagages avant de m’amener à l’aéroport. Là, ils m’ont mis en isolement de nouveau. J’ai vu mon ami assis dans la cellule d’isolement. J’étais surpris et lui demandais ce qu’il foutait là. Il me disait qu’il ne pouvait même plus se rappeler pourquoi il était assis dans cette cellule. Alors j’ai continué à lui parler jusqu’à ce qu’il y ait des gens qui sont venu me dire que j’allais être relâché avec cinq jours pour quitter la Belgique. Je retournai à la cellule d’isolement pour dire à mon ami que je pouvais m’en aller. Mais je ne savais même pas où parce que je ne connaissais pas la Belgique. Puis quelqu’un du personnel est venu également lui donner son papier avec 5 jours pour quitter le pays. Nous étions étourdis. Nous ne nous étions jamais imaginés que ceci allait se passer. Nous avons signé le document officiel qui disait qu’on avait 5 jours pour partir. J’ai demandé : "Mais où pouvons nous aller, nous n’avons rien". "Ça, c’est vos affaires, allez vous en". J’ai regardé mon ami. Ses mains étaient vides. Puis, je vous ai appelés.
Propos recueillis par CCLE
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