Ojo Tunde Ayo

Témoignage
mars 1999.
 

Mon nom est Ojo Tunde Ayo, je viens du Nigeria. J’ai quitté le Nigeria pour la Belgique le 18 février 1998. J’étais en chemin pour les Etats-Unis quand on m’a arrêté à l’aéroport à Bruxelles et qu’on m’a forcé de faire une demande d’asile directement. Manque de choix, je l’ai faite. J’ai passé ma première interview le 19 février 1998. Le résultat était négatif. Ma deuxième interview était le 5 mars 1998. Négatif. Le 9 mars, on m’a réveillé à 4h30 du matin pour m’emmener à l’aéroport. Pour m’y amener, on m’a mis des menottes aux mains et aux pieds. Alors j’ai dit aux gens qui m’escortaient que je refusais de partir. J’ai eu des problèmes au Nigeria avant de le quitter, leur dis-je. J’étais impliqué dans un coup militaire là-bas. Ça s’est passé le 21 décembre 1997. Une de mes sœurs a participé au coup militaire. Le coup était dirigé par le général Oladipo Diya. Le but était de prendre le pouvoir au général Abacha. Mais ça n’a pas réussi. C’est ce que j’avais expliqué à l’Office des Etrangers. Mais là, ils n’ont pas cru que j’étais un réfugié.

Donc, on m’a mis dans l’avion menotté et alors j’ai commencé à crier. Les passagers ont réagi. Alors on m’a descendu de l’avion. Et ramené au 127bis. Le 30 mars, on m’a de nouveau amené à l’aéroport ; menotté et tout et tout, avec ma bouche couverte d’un coussin. Couverte avec un coussin ! Dans l’avion, ils se sont affairés pour m’attacher au siège. Mais j’ai réussi à dégager ma tête. L’homme en face de moi m’a répondu avec un coup de poing énergique. J’ai par après fait un constat médical avec l’aide de mon avocat.

On me sortit de l’avion et on me ramena au centre 127bis.
La troisième fois, c’était le 3 avril. On m’a amené à l’aéroport vers 5h30. J’étais encore menotté. Arrivé à l’aéroport, on m’a mis dans une petite cellule. Là, on m’a demandé : "Est-ce que cette fois tu pars ou pas ? " J’ai répondu que je refusais de partir. Le gendarme m’a dit : " C’est obligatoire, aujourd’hui c’est obligatoire. Tu dois partir". Menotté, avec le coussin sur la bouche, ils m’ont tiré vers l’avion. J’étais sur le point de rendre l’âme. Je n’avais plus de force. Je me dis : "Encore quelques minutes et je vais mourir". A 10h50, l’avion a décollé. Puis, je suis arrivé au Nigeria, à Lagos. Je n’avais pas de papier avec moi. Arrivé là-bas, le gouvernement nigérian ne voulait pas de moi parce que je n’avais pas de documents. Ils m’ont renvoyé avec le même vol. Quand je suis de nouveau arrivé à Bruxelles, on m’a de nouveau enfermé au centre.

Le 9 juin, on m’a emmené à l’ambassade du Nigeria à Bruxelles. On m’a interviewé mais on ne m’a posé que très peu de questions. Je suis né en Jamaïque, et quand j’étais tout petit, je suis allé au Nigeria avec mes parents. Pour cette raison de naissance, l’ambassadeur a refusé de délivrer un laissez-passer. Et on m’a ramené au centre.

Le 10 juillet, on a transféré une quinzaine des nôtres au centre de Merksplas. J’étais à Merksplas jusqu’au 21 août. Ce jour-là, le gouvernement belge m’a envoyé à Zurich (où j’avais transité en chemin vers l’Amérique). A Zurich, ils ont examiné les documents d’expulsion. Puis ils ont téléphoné à Bruxelles, exigeant un passeport. Là-bas, ils ne trouvaient pas de passeport à mon nom. Je ne sais pas ce qui s’est passé exactement. Alors, j’ai été renvoyé à Bruxelles vers 15h30. Quand je suis arrivé à Bruxelles, on m’a emmené directement dans un bureau où on m’a annoncé que cette fois-ci, j’irais en prison. J’ai dit : " Quelle prison ? Je ne peux pas aller en prison. Je ne suis pas un criminel !". Vers 19h30, j’ai été envoyé à la prison de St-Gilles.

Là, je suis resté du 21 août au 16 octobre. J’ai été enfermé plus de huit mois sans aucune raison. Alors, Le 16 octobre, j’ai été libéré. 5 jours pour quitter le territoire. Je suis maintenant un apatride en Belgique. La Belgique me refuse, le Nigeria me refuse, son ambassade ne m’a pas aidée, la Suisse me refuse. Je suis un apatride. Telle est ma situation.

Au Nigeria, j’étudiais l’histoire à l’université d’Ibadon (Oyo State). J’étais dans le syndicat des étudiants. En 1997, se produisit un coup militaire dirigé par le général Oladipo Diya destiné à renverser le gouvernement. Mais ce n’était pas réellement un coup militaire. Plutôt un coup monté ; En tant que syndicaliste, j’ai réagi. J’ai téléphoné à mes deux collègues, Samuel et Isiaka. Nous avons écrit quelques pamphlets pour accuser le gouvernement et dénoncer comment il veut se débarrasser de ses rivaux. On a travaillé avec ma sœur Shola Shole.

Ils ont commencé à nous rechercher. Alors, j’ai bougé d’un endroit à l’autre au Nigeria. Finalement, j’ai atterri à Lagos dans la maison de ma sœur. J’y suis resté à vivre avec mes deux amis et mon petit frère.

Un jour, des policiers ont forcé la porte. Ils ont demandé : "où est Ojo Tunde Ayo ?" "C’est moi". Mon petit frère, il avait 14 ans, a immédiatement pris peur. Il a couru. Il est monté sur le toit, puis il a glissé et il est tombé du troisième étage. Il est mort.

J’ai été amené avec Samuel et Isiaka au commissariat de Yaba. De Là, ils nous ont emmené en prison. Insultes quotidiennes et puis la torture... Isiaka est mort. Samuel est paralysé. Je restais seul en prison. Le 17 février 1998, ils sont venus me ramasser dans ma cellule. Je ne comprenais pas. "On va te transférer". Ils m’ont amené à un commissariat et habillé correctement. Un ami de ma sœur m’a fait échapper du commissariat. J’ai été amené de toute vitesse à l’aéroport où on m’a donné un faux passeport américain et un ticket pour New York pour que je puisse sauver ma vie. Malheureusement, j’ai dû transiter par Bruxelles.

La vie au 127bis est très dure. Avant d’arriver là, j’ai connu l’enfer. Mais la vie au 127bis est terrible. On est enfermé, on ne peut pas sortir, on ne peut rien faire. Tôt le matin, la police arrive pour nous amener à l’aéroport. J’ai en huit mois vu partir énormément de gens. Ils refusaient de partir, mais ils ne sont pas revenus de l’aéroport. A chaque fois, on n’a pas pu s’empêcher de pleurer.
Au centre, on se sent comme un criminel parce qu’on est traité comme tel. Néanmoins, j’avais beaucoup d’amis. Des gens du Nigeria, du Ghana, du Mali, du Soudan. Ils ont été expulsés. Mon ami Sanussi a été déporté de Merksplas le 28 juillet. Il a été renvoyé au Nigeria.

Auparavant, le 14 mai, Frank Nkesi a été déporté. Tout le monde au centre a connu Frank. Ils l’ont amené de force à l’aéroport. Frank avait de sérieux problèmes politiques au Nigeria. Malgré les protestations de son avocat, il a été expulsé. Son avocat a téléphoné plusieurs fois au Nigeria ou à l’ambassade ou à des associations, après l’expulsion. Frank Nkesi a été torturé avant d’être assassiné au Nigeria.
John Agu a subi exactement le même sort. Il y en a d’autres. Fola Roimi, une femme du Nigeria, mère d’un Enfant, Eniola, a également été déportée vers le Nigeria. Là-bas, elle a été arrêtée. Depuis, plus de nouvelles.
Il y en a beaucoup qui au terme de leur expulsion sont livrés à la torture et à la mort.

St-Gilles était différent. St-Gilles est une prison Là, tu côtoies des vendeurs de drogues, des meurtriers et toutes sortes de criminels. Mais il y a aussi des réfugiés qui se font déporter.
A St-Gilles, j’ai rencontré un ami que connaissais du 127bis. Son nom est Koojo Assale. Il est arrivé au 127bis en avril. Il a été déporté au Sénégal. Le 19 juin, là, il a été redéporté du Sénégal vers la Belgique. De l’aéroport de Bruxelles, il a été envoyé à la prison de St-Gilles. Il a été en prison depuis deux mois quand de l’ai rencontré Le 21 août. On partageait la même cellule. On y mangeait, on y allait aux toilettes, enfermés tout le temps. St-Gilles était une très mauvaise expérience.

Le 22 septembre au soir, mon compagnon de cellule, qui lui comprend le français, m’a dit qu’une fille du 127bis nommée Semira Adamu, a été amenée à l’aéroport où elle a été maltraitée par les gendarmes, et qu’elle était maintenant à l’hôpital où on la soignait. Plus tard, cette nuit-Là, on m’a dit qu’il semblerait qu’elle soit morte. Je dis : "Non, ce n’est pas possible". Alors on a de nouveau regardé les informations et on m’a expliqué qu’elle a été amenée à l’avion, menottée, accompagnée d’environ 6 gendarmes. Ceux-ci lui ont poussé un coussin sur le visage pour qu’elle ne respire plus. Puis on l’a amenée à l’hôpital. Je me dis : "Ça ira, elle s’en sortira."

Le lendemain, on me dit qu’elle est morte. Je ne le croyais pas. Je me dis que c’est un mensonge. Mais plus tard, j’ai reçu une lettre ; parce que je connaissais très bien Semira. On a été ensemble au 127bis pendant 5 mois ; On papotait ensemble, on a pris beaucoup de photos ensemble, on jouait ensemble... Toutes ces choses qui nous étaient possibles là-bas. Quand cette Lettre m’a confirmé sa mort, je me suis effondré. Pendant quatre jours, je ne pouvais manger. Koojo Assale non plus n’arrivait pas à avaler quoique ce soit. C’était une nouvelle très triste pour nous. Parce que cette fille, elle avait des problèmes au Nigeria. Elle est venue à Bruxelles pour sauver sa vie. Et à Bruxelles, on l’a tuée. C’est une situation indescriptible. Je n’arrive pas encore à m’en remettre.

Moi, j’ai très bien connu Semira. J’étais souvent à ses côtés quand elle téléphonait à sa famille. Quand le nouveau ministre maintenant parle de drogue et de prostitution, je ne crois pas que ce soit vrai. Semira m’a raconté son histoire à plusieurs reprises. Elle devait être mariée à un vieil homme. Elle ne voulait pas. Alors, on l’a menacée. Tellement menacée qu’elle sentait que cet homme serait capable de la tuer à chaque putain d’instant. C est pour ça qu’elle a dû fuir le Nigeria. Mais toutes ces histoires de drogues ne sont rien que des mensonges. Et puis, le problème n’est pas là. Le problème est qu’on l’a assassinée. Le ministre cherche des excuses maintenant ? Il peut chercher toutes les excuses qu’il veut. Mais cette histoire de drogues est un mensonge.

Je crois que si une personne a des problèmes politiques ou autres, si une personne est forcée de quitter son pays et de devenir réfugié, les autres pays ont le devoir de sauver sa vie. Ce n’est pas juste de renvoyer quelqu’un dans le pays qu’il a du fuir. Mais ici, en Belgique, tous les réfugiés sont traités de menteurs. A moi-même, on m’a dit que ce que j’avais raconté à l’aéroport était différent de ce que j’ai raconté à mon deuxième interview. Ce n’est pas vrai du tout ! A l’aéroport, on a pris note de mes dires en anglais. La deuxième fois, on a pris note en flamand. Pourquoi pas en anglais ? Pour que je ne puisse pas vérifier ce qui était écrit ?

La Belgique est un pays que je n’oublierai jamais. Huit mois de prison, pourquoi ? Uniquement parce que je demande l’asile. La Belgique a déporté beaucoup de personnes qui ont trouvé la mort ainsi. Oluwasuni Diya, Sanussi, Emmanuel, tellement de gens.
Pourquoi enfermer quelqu’un qui vient seulement pour demander l’asile ? Il faut ouvrir les camps ! Il faut les ouvrir !

Et à l’aéroport ! Menottes, insultes... Il faut changer tout ça. Nous sommes des réfugiés, nous sommes des êtres humains. Nous sommes noirs. Et alors ? Nous sommes des êtres humains comme Les autres.

En ce qui concerne le collectif, ce sont les seules personnes qui nous ont rendus heureux. Ils raisonnent humainement. Ils ont aidé beaucoup de réfugiés. Nous n’avions rien, mais eux ils nous ont donné le peu qu’ils pouvaient. Ils ont des sentiments humains. Ils savent comment gérer les choses avec raison humaine. Sans eux, moi, Ojo Tunde Ayo, j’aurais sans doute été déporté vers le Nigeria et là-bas, on m’aurait tué.

Propos recueillis par CCLE


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