Abdou Sow est un sans-papier participant activement au mouvement pour la régularisation. Il appartient au groupe de l’église du Béguinage à Bruxelles. II nous expose sa vision du mouvement en ce début février 1999...
Après 100 jours d’occupation de l’église du Béguinage, quel bilan tirerais-tu de cette première période de mobilisation des sans-papiers en Belgique ?
Pour le bilan, je crois qu’il va être difficile de le qualifier de positif ou de négatif, car beaucoup d’événements ont eu lieu. Sur le plan des actions, je me suis rendu compte que beaucoup de choses ont régressé au lieu de progresser, et pas uniquement en raison des sans-papiers. Mais ça n’a fait que renforcer la dynamique et la détermination de ceux qui sont réellement convaincus par la cause.
Quelles sont les plus grandes difficultés rencontrées par le mouvement des sans-papiers ?
Nous avons eu de grosses difficultés avec les associations constituant en principe le Mouvement National pour la Régularisation des Sans-Papiers et des Réfugiés (MNRSPR). Si l’on regarde attentivement, on se rend compte que celles-ci sont elles-mêmes quelque peu divisées sur les questions de stratégie. Cette situation, nous l’avons vu trop tard car ce mouvement nous avait déjà entraînés dans sa logique. Nous nous sommes donc retrouvés dans une situation qui a amené polémique et division entre nous.
Au début, le mouvement des sans-papiers était intimement lié au MNRSPR, les premières occupations d’églises ayant été initiées par ce mouvement. Qu’en est-il vraiment aujourd’hui ?
Aujourd’hui, le MNRSPR attend qu’on définisse nos relations avec eux... Cela nous porte un coup dur au niveau de l’organisation matérielle de l’église et au niveau de la survie même. Ça
a pratiquement asphyxié le mouvement, on trouve difficilement les ressources suffisantes pour pouvoir tenir et continuer le combat. Ce ne sont pas les sans-papiers qui ont lancé le mouvement, il était donc évident que cela amènerait quelques problèmes. Maintenant qu’on a décidé de prendre les devants, j’espère qu’on trouvera l’unité de tous les sans-papiers en Belgique, ce qui est fondamental pour un combat constructif.
Selon toi, quel rôle doit jouer la société civile belge au niveau du mouvement des sans-papiers ?
Je demande à la population de jouer un rôle d’avant-garde et en même temps de soutien constructif ; donc de se positionner de manière claire sur la question afin de faire avancer le débat.
Pour tenter d’apaiser les esprits, le ministère de l’intérieur a sorti une circulaire le 15 décembre...
C’est un texte totalement stérile du moindre changement ! Ce n’est rien d’autre que la répétition des lois qui existaient déjà. Le but n’était pas de progresser dans la résolution du problème mais bien de réaffirmer une politique répressive.
Dans quel but publier un texte comportant des données déjà existantes ?
Peut-être dans le but de jouer le jeu de la stratégie du MNRSPR qui n’était pas clairement définie sur certains points. La question des quatre axes de régularisation avancée par ce groupement d’associations revendiquait très peu ; donc la circulaire venait s’intégrer dans cette logique là. Le résumé du texte du ministre est : on peut régulariser, mais de la même façon qu’auparavant, sur base des mêmes lois.
Quelle réaction as-tu plus largement au niveau du monde politique belge ?
Pour le moment, les partis n’ont pas encore fait de proposition. Ce qui est étonnant parce que dans un contexte politique aussi déterminant (NDLR : les élections de juin 99), ils doivent se positionner par rapport à des éléments aussi fondamentaux que la régularisation de milliers de personnes vivant dans des situations extrêmement difficiles. La population belge attend une réponse à la question des sans-papiers. S’ils ne font aucune proposition, je me dis qu’ils sont en train de douter soit de leur force, soit de leur crédibilité.
Quel message voudrais-tu faire passer au gouvernement belge ?
Je lance la question de la gestion de la cité. Les gouvernants sont les gestionnaires de la société, leur rôle est d’orienter celle-ci vers un avenir réaliste et digne. Je leur demande donc de se positionner et d’apporter une lumière sur cette situation ; jusqu’à présent on s’est cogné contre un mur d’indifférence.
Vous avez commencé l’occupation du Béguinage. Vous vous êtes retiré. Vous êtes revenu à l’église, pourquoi ?
Au début, j’avais confiance dans le Mouvement, mais il y a eu des tensions internes. Je n’ai pas été satisfait et je me suis retiré. La circulaire et les déclarations irresponsables de quitter les églises m’ont fait revenir. L’orientation suivie n’était pas la bonne et tous les courants n’avaient pas droit au chapitre. J’ai trouvé d’autres sans papiers qui partageaient mon point de vue (...) J’appartiens à ceux qui ne sont pas régularisables selon les axes du Mouvement National.
Que pensez-vous de la remise dès aujourd’hui des dossiers de sans papiers auprès de l’Office des étrangers ?
C’est du bluff ! On a voulu nous entraîner dans ce chaos pour tuer le mouvement. Sans doute pour des raisons politiques. Prenez les avocats en charge de certains dossiers, ils défendent ce qui relève du juridique or, notre situation n’a aucune valeur juridique dans la mesure où il n’existe aucune loi traitant d’une régularisation de sans papiers. Donc une action pareille, c’est nous entraîner dans un chaos total. Nous devons repousser cette proposition insensée qui ne changera pas la position du gouvernement (..)
Propos recueillis par CCLE
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