Semira était illégale

mars 1999.
 

Selon le parquet de Bruxelles, les gendarmes ont appliqué la procédure régulière, c’est à dire légale. Cette procédure est la suivante : L’usage d’un coussin, afin d’éviter les cris et les coups de dents, sera autorisé à condition que les mesures de précaution suivantes soient prises en considération :

Bien que les risques de suffocation et de perte de conscience soient minimes, la situation du concerné doit continuellement être évaluée.

En tout cas, le coussin doit être appliqué avec circonspection. Ainsi l’exécuteur veillera à ce que le nez ne soit pas couvert par le coussin.

En cas de problèmes éventuels (étouffement ou vomissure), le coussin doit immédiatement être enlevé.

Au cas où le Depa concerné est violent ou sur réquisition du commandant de bord, il sera retiré du vol et reconduit aux locaux CT.

En cas de non-départ du Depa, les tickets doivent être récupérés et le service Passagers de la compagnie aérienne doit être contacté. Les tickets seront renvoyés au service ticketing pour annulation (1).

Tout était prévu.

Peut-être le coussin était-il un peu trop large ? Aurait-il débordé par accident ?
Difficile à dire.

Dans l’attente d’une enquête ou de ses résultats, le gendarme travaille toujours.

On peut supposer que sa hiérarchie lui a demandé un peu plus de "circonspection", d’autant plus qu’il avait déjà été sanctionné pour avoir un peu frappé des réfugiés à l’aéroport antérieurement. L’État-Major de la gendarmerie est bon patron. Humain.

D’ailleurs il veille à sélectionner avec circonspection les volontaires qui travaillent à l’aéroport comme l’explique le lieutenant colonel Allaert, représentant le BCR de la gendarmerie, interrogé par la commission sénatoriale chargée de l’évaluation de la loi du 15/1218C sur les étrangers (2) : "En ce qui concerne l’excès de zèle de certains gendarmes qu’un membre a dénoncé, il peut confirmer qu’on veille à ce que les gendarmes d’extrême droite ne monopolisent pas le poste de contrôle de Zaventem, ce qui créerait une situation qui pénaliserait certains étrangers".

Humain et fin stratège politique. On sent le grand corps d’État qui protège la légalité en respectant la liberté d’opinion de ses membres. Refus des discriminations également : chacun a le droit de participer aux expulsions quelle que soit sa carte de parti.

Au passage on observera que l’extrême droite, c’est à dire "la criminalité organisée visant à renverser la démocratie en s’appuyant sur une délinquance raciste", constitue un groupe reconnu et recensé au sein de la gendarmerie. Le BCR assure. Comme il l’avait d’ailleurs fait lors de l’affaire Dutroux.

Pour rappel, le rapport de la commission d’enquête parlementaire dans l’affaire du même nom indiquait : Un reproche adressé au BCR est le fait qu’il travaille en dehors de tout contrôle juridique. La remarque est certainement fondée. En dehors des autorités hiérarchiques de la gendarmerie, le BCR n’est soumis à aucun contrôle externe. Très souvent, le BCR s’arroge des compétences du juge d’instruction en ce sens qu’il retient, parfois délibérément certaines informations pour les traiter "en interne" au sein de la gendarmerie (3).

Cette gestion en interne est aussi une violation de l’article 40 de la loi sur la fonction de police qui oblige à dresser PV pour toutes constatations et même simples renseignements et à les adresser immédiatement aux autorités judiciaires.

Bref, il y a donc coalition de fonctionnaires en vue de ne pas respecter le code d’instruction criminelle et la loi sur la fonction de police.

Cette action concertée en vue de suspendre l’exécution des lois dans le chef d’officiers de police judiciaire est un délit grave sanctionné par l’article 237 du code pénal.

Tout cela est illégal Mais ce n’est pas grave, car cela ne le sera bientôt plus.

Octopus (4) nous promet, malgré l’avis formellement contraire du Conseil d’État (5), de transférer progressivement la compétence des autorités judiciaires en matière de conduite des procès vers le pouvoir exécutif : Plusieurs dispositions de l’avant-projet sont susceptibles de mettre en péril l’autorité et la responsabilité des membres du ministère public ou des juges d’instruction dans l’accomplissement des missions de police judiciaire.

Pour rappel également, désormais, grâce au nouvel article 28bis du Code d’Instruction criminelle (6) la police, agissant en autonome, pourra faire son enquête proactive (7) sur simple signature du procureur du roi.

Tout cela pour chasser, bien évidemment la "criminalité organisée", priorité absolue du Ministre de la Justice (8).

On sait aussi que le projet de répression de la criminalité organisée permet de poursuivre les membres d’une association sans acte précis ni même intention, ce qu’on appelle le délit d’appartenance critiqué sévèrement par le barreau (9) et par le Conseil d’État (10).

Mais qu’est-ce que la "criminalité organisée ?"

Pour la commission sénatoriale qui a "planché" sur le sujet pendant de nombreux mois, la criminalité organisée se distingue des autres formes de criminalité par son caractère d’entreprise et sa capacité à neutraliser l’action des pouvoirs publics contre les organisations criminelles. De plus ces organisations se soucient de moins en moins des frontières nationales et présentent fréquemment un caractère international marqué (11).

Pour Madame le Procureur Général A. Thily, dans sa mercuriale prononcée précisément sur le sujet de la criminalité organisée, à la rentrée judiciaire de la Cour d’Appel de Liège du O1/09/96, la criminalité organisée est principalement transfrontalière et internationale.

Bref, la criminalité organisée concerne le grand banditisme et les activités mafieuses, ainsi que les trafics divers ( stupéfiants, armes, traite des êtres humains, déchets,… ) couverts par des sociétés off-shore et par le blanchiment d’argent. Elle bénéficie de protections à la mesure des capitaux qu’elle met en jeu et se protège derrière le secret bancaire et la libre entreprise. De temps à autres, partout dans le monde des représentants éminents des pouvoirs publics tombent (ministres, magistrats, parlementaires).

Mais pour certains, la criminalité organisée concerne en fait les réfugiés qui traversent les frontières pour venir frauder notre sécurité sociale (12).

Dans un entrefilet publié voici quelques temps (13), on apprenait que Les polices européennes, réunies à Rome jeudi pour se coordonner face à l’afflux de réfugiés kurdes, n’ont pas pu déboucher sur un accord complet avec la Turquie. Sept pays de l’Union participaient à la rencontre (Allemagne, Autriche, Belgique, France, Grèce, Italie, Pays-Bas) ainsi que le plus haut responsable de la police turque, Necati Bilican. Une convergence de vues totale n’a pu être obtenue par les pays participants sur le rôle des réseaux de crime organisé impliqué dans le trafic d’émigrés, a déclaré M. Bilican. Le PKK (le parti des travailleurs du Kurdistan) et des réseaux de passeurs clandestins se trouvent à l’origine de ce problème, a dit M. Bilican. La Turquie a mis en garde les pays participants contre un abus du droit d’asile politique.

Le message est bien passé chez nos policiers qui ne doutent pas un moment, lorsqu’ils discutent amicalement avec leur collègues turcs, que les kurdes sont des réfugiés économiques qui détruisent leurs villages eux-mêmes pour nous tromper. La Turquie est un beau pays démocratique et les réfugiés sont criminels. II suffit de le dire.

Cet article est déjà trop long.

Je devrais encore vous parler de l’article 77 qui poursuit les belges qui aident les "illégaux", de Vottem où on place les familles "illégales", des statistiques du CGRA qui montrent que les réfugiés "économiques" viennent des pays où l’on tue, des mêmes statistiques qui montrent que le taux de reconnaissance des réfugiés diminue plus les gens fuient les persécutions, comme au Kosovo.

Un Kosovar ça passe ; deux mille, non, car "on ne peut pas accueillir toute la misère du mondé".

Nous baignons dans l’illégalité.

Mes dents baignent. J’arrête (provisoirement).

Jean-Paul Brilmaker

(1) Directives concernant l’exécution de rapatriements. Détachement de Sécurité. Aéroport National. Section Contrôle frontalier. 17/11/97. Page 9.
(2) Rapport du 23/6/98 au sénat, session 1997-1998, NE1-768/1, page 231.
(3) Rapport du 14/4/97 d la chambre, session 1996-1997, NE713/6, page 98.
(4) Octopus désigne l’accord des huit partis principaux pour créer la fusion des corps et fonctions de police. La pieuvre est un octopode.
(5) Avis du 16/9/98 du C.E. d la chambre, session 1997-1998, NE1676/5, page 2.
(6) Petit Franchimont "amélioré" par la gendarmerie.
(7) Le Soir du 28/10/98.
(8) CÔTE (Raoul), La discipline scolaire, une réalité d affirmer, Éditions Agence d’ARC Inc. Montréal, 1991.
(9) Voir article "La responsabilité collective" de Maître H.M Haver, du 29/01/98, en page 1 d’un rapport édité par le barreau de Liège le 06/02/98 sur le projet de loi relatif aux organisations criminelles.
(10) "La connaissance de l’organisation et de son caractère criminel ne peut se concevoir, dans le chef de l’inculpé, et ne peut être prouvée contre lui, que par la participation de celui-ci à un acte de l’organisation. La distinction que le projet entend faire entre " participation " et " appartenance " ne se justifie pas : le projet doit s’en tenir à la première notion. " Avis du C.E. Chambre, session 96-97. NE954/9, page 16.
(11) Rapport présenté au sénat en novembre 97, NE132 6/7 page 61.
(12) Les procédures d’asile sont souvent liées à un comportement criminel, selon le lieutenant-colonel Allaert, représentant du BCR lors de l’évaluation parlementaire citée ci-dessus. Voir note 2.
(13) Le Soir, 10/01/98 page 9.


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