Quand soignerons-nous notre délire paranoïaque ?

novembre 1998.
 

par Stany Grudzielski

La Belgique est un pays de 10 millions d’habitants. Chaque année, 10 à 20 milles personnes y demandent l’asile. Pour fixer les proportions, imaginons une salle de 1000 personnes. Chaque année, 1 ou 2 individus frappent à la porte, souvent poussés dans le dos par la persécution. Dans ces conditions, se percevoir comme un îlot menacé d’être envahi par "toute la misère du monde" relève de la maladie mentale collective.

Je ne suis pas pour autant partisan de l’ouverture totale des frontières. N’étant pas anarchiste, je trouve que l’Etat peut utilement contribuer à l’amélioration des conditions de vie. La’ liberté totale de circulation et d’établissement sur toute la surface de la planète est donc pour moi un idéal subordonné à la constitution préalable d’un Etat mondial fédéral, démocratique, social et écologique, capable de répartir équitablement les richesses et d’harmoniser les niveaux de développement à l’échelle planétaire. D’accord, il y a du pain sur la planche ! En attendant, je trouve normal que les Etats existants fixent eux-mêmes des règles d’accès au territoire. Bien sûr, ce serait mieux si ces Etats étaient eux-mêmes fédéraux, démocratiques, sociaux et écologiques. Mais on fait avec ce qu’on a...

La fixation de règles d’établissement sereines et cohérentes est incompatible avec l’obsession d’immigration zéro de nos gouvernements actuels. Une vérité simple échappe à ces derniers : entre une porte grand ouverte et une porte fermée à double tour, il existe une multitude de positions intermédiaires. Deux grands cas de figure devraient être distingués.

D’une part, il y a les demandes d’établissement faites au titre de la Convention de Genève. Pour ces réfugiés, les demandes doivent être examinées de façon individuelle, sérieusement, par une commission indépendante et sans préjugé défavorable. II n’est évidemment pas question de fixer préalablement un plafond pour le nombre de demandes acceptées. Sauf à retomber dans les lâchetés de l’histoire, s’imagine-t-on, en 1939, déclarer à des familles juives d’Allemagne cherchant à fuir le nazisme : " Désolés, nos limites sont atteintes, retournez chez vous" ? Par ailleurs, il peut être utile de reconnaître un statut collectif temporaire pour les populations confrontées massivement à des situations dramatiques, à condition que ce statut temporaire ne préjuge pas du droit pour les individus concernés à bénéficier du statut de réfugié nu sens de la Convention de Genève.

D’autre part, il y a les demandes d’immigration. Oui, d’immigration. L’erreur capitale, commise dans les années 70, a consisté à prétendre que nul, ou presque, ne pouvait plus accéder au territoire au titre de migrant. II ne s’agit pas d’encourager les migrations massives, qui ne résolvent rien, ni pour les pays d’origine, ni pour les pays de destination, mais bien de reconnaître que la mobilité fait partie de la nature humaine. L’histoire de l’humanité est faite de déplacements, pour certains volontaires, pour d’autres beaucoup moins. Or, les décisions d’émigrer prises de façon autonome par des individus qui veulent aller voir ailleurs si le ciel y est plus bleu (quelle déception pour ceux qui débarquent en Belgique !) représentent la part la plus volontaire de ces déplacements. II est donc absurde de les interdire. La priorité, ici, est évidemment de permettre aux résidents actuels, issus de l’immigration, de faire venir leur famille sans restriction. Le droit de vivre en famille est en effet inaliénable. Concernant les nouveaux arrivants, par contre, la fixation d’un plafond annuel se justifie, puisqu’il ne s’agit pas de personnes qui doivent fuir leur pays en urgence. Décidons d’un nombre raisonnable d’entrées annuelles (ciel, des quotas !) au-delà duquel le candidat à l’immigration devra reposer sa candidature l’année suivante. Ce dispositif contribuera à tarir les filières clandestines, et évitera aux migrants d’avoir recours à la Convention de Genève, qui n’est pas appropriée à leurs cas.

En parallèle à cette politique d’asile et d’immigration, travaillons à une politique active et humaine d’accueil, d’intégration et d’accès à la citoyenneté. Coopérons aussi au développement des pays d’origine, non pas parce que cela freinerait dans le court terme les flux migratoires, mais parce qu’il est juste de le faire, et parce que la réduction de l’écart de développement entre les différentes parties du monde est une chose positive à tous les points de vue. Quant aux personnes vivant actuellement dans la clandestinité, la seule solution raisonnable est une régularisation massive. II est d’intérêt public que ceux qui demeurent sur le territoire y vivent dans la légalité. Et il est d’intérêt humain de ne rapatrier que ceux qui le souhaitent de leur plein gré.

Non, la politique d’asile et d’immigration actuelle n’est pas la seule possible. Les quelques principes ébauchés ci-dessus constituent bien les éléments d’une politique alternative à celle de Tobback et de ses clones, qui ne sont plus très loin du ’ Ein Volk, ein Führer". Peut-être les positions que je viens de définir - qui font la part belle au rôle régulateur de l’Etat, et qui de surcroît émanent d’un Ecolo... - paraîtront-elles odieusement réformistes à certains membres du comité contre les expulsions. Pourtant, si le mouvement social s’avère inapte à dépasser le stade de la protestation pour déboucher sur celui de la proposition, c’est-à-dire de la politique, nos gouvernements pourront longtemps encore dormir sur leurs deux oreilles. Croyez-moi, ils ont moins à craindre de manifestations turbulentes que d’alternatives sérieuses.


0 signatures à cette pétition

Forum de l'article

Date Nom et site Web Message