L’affaire, pour lui, ne fait pas un pli. C’était une mort annoncée. Un abcès qui doit être percé. Lui : Fabien Houlmont, gendarme, membre de la CGSP après des années de lutte pour les droits de l’Homme au sein du dit service public.
La nouvelle de la mort de la jeune Nigériane, il l’a apprise sur le chemin du travail, dans le train. Choqué, évidemment. Mais lucide. L’idée que la responsabilité du drame retombe sur les seuls exécutants, les deux policiers inculpés, lui est inacceptable.
Les gendarmes de Zaventem font partie de l’unité spéciale chargée de la sécurité de l’aéroport et du contrôle des frontières. Quelque 200 hommes. Jeunes le plus souvent, qui ont choisi entre deux maux.
Deux maux ? Etant en début de carrière, ils ne peuvent prétendre à une affectation dans une unité territoriale (la brigade), objectif naturel pour la plupart, et doivent donc souvent choisir entre la RG, Réserve générale, avec ses heures irrégulières et ses services imprévisibles, ce qui n’est pas drôle, ou Zaventem, l’unité spéciale, dont l’horaire pépère porte, cependant, sur un job stressant et peu ragoûtant, ce qui n’est pas drôle non plus, dit Fabien Houlmont.
Le sale boulot serait effectué par des « volontaires » ? Dans le sens indiqué ci-dessus, plutôt : Zaventem because obligations familiales. Il a été dit, cependant, que l’unité recèle des brutes et un des gendarmes inculpés, apprend-on, a déjà fait l’objet de sanctions disciplinaires pour des faits similaires.
« Vous savez, quand une unité doit pratiquer de telles méthodes, finalement, cela devient la norme. Ou, pour utiliser un terme en vogue, un estompement de la norme. Car, enfin, ce qui est arrivé est la faute du système, pas de ses exécutants. »
Là, il ne décolère pas. Ce colonel ou autre gradé qui a développé et cautionné ces pratiques, qu’on fasse connaître son nom ! Et, pour plancher sur ces méthodes, ce psychologue et ce médecin : « Qui sont-ils ? Ont-ils même un diplôme ? » On peut se le demander, sachant que, parmi les moyens envisagés, Il y avait aussi la camisole de force.
Et puis on aimerait bien voir cette cassette de formation utilisée à Zaventem, pour enseigner comment déporter efficacement...
Tout cela forme un contexte qui explique que, Fabien Houlmont ne le nie pas, Zaventem est devenu « l’unité à problèmes par excellence ».
La plupart des gendarmes de Zaventem ne restent là que deux ou trois années. Un délai amplement suffisant, estime Fabien Houlmont, « pour que leur tête soit sérieusement formatée, à côté de leurs pompes. Réaliser un audit des valeurs qui ont cours dans le personnel, voilà a qu’il faudrait suggérer aux parlementaires... »
Pourquoi non ? Puisque, dit-il, il s’agit d’un problème de valeurs. « Un meurtrier, il faut le savoir, a droit à plus d’égards. Un Etat démocratique qui se veut respectueux des libertés n’utilise par de telles mesures coercitives, sauf règle de proportionnalité oblige, si la violence sert à sauver une vie par exemple. Là, l’intérêt supérieur l’exige. Mais, dans le cas de Semira, où est-il, l’intérêt supérieur !? »
Là, après avoir tourné autour du pot, on chute dedans, en plein dedans. Etant entendu que l’Europe, la loi belge, l’écrasante majorité de partis politiques et tous qui, au nord comme au sud du pays, devraient se sentir solidaires convergent pour ne l’être point. Existe-t-il une manière correcte de déporter quelqu’un qui veut circuler librement ? A mon avis, non, dit Fabien Houlmont. Devant ce précipice, il faut se taire.
Le Matin, 25 septembre 1998
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